Ce mardi 5 octobre, la Commission Sauvé a rendu son rapport : 216 000 mineur·e·s victimes de violences sexuelles de la part de prêtres ou de religieux depuis 1950. On estime une marge d'erreur d'environ 50 000 personnes.
Aujourd'hui, nous sommes sous le choc face à cette information aussi nécessaire que douloureuse. Pourtant, le traitement de ces informations semble trop imprécis dans son vocabulaire (et donc son sens), pour que notre prise de conscience soit collectivement et massivement éclairée.
Bien sûr, il y a la libération de la parole des victimes, ô combien nécessaire, tout comme la repentance des agresseurs et plus encore, les condamnations qui rendront justice aux victimes.
Nous avançons dans le bon sens certes, mais dans une forme de sidération. L'irreprésentable nous ait sous servi sous la forme d'une comptabilité, qui atteint ses limites a fortiori, si nous n'employons pas les mots justes. En demeurant dans cette phase de choc, nous risquons de ne pas amorcer ce qui doit être un changement majeur de notre civilisation.
L'inceste est dans toutes les civilisations, l'interdit majeur le plus structurant pour notre société. Or, nous constatons au fil des mois et des années maintenant, que les chiffres ne font qu'augmenter, pas seulement ceux de l'inceste, mais aussi ceux des violences sexuelles sur mineur·e·s et des viols.
Pour que notre prise de conscience soit plus massive, pour que notre sidération ne s'arrête pas à la comptabilité morbide des mineur·e·s victimes de violences sexuelles, nous devons revoir notre vocabulaire et reprendre nos dictionnaires.
La première étape pourrait consister simplement à remplacer le mot TABOU par le mot INTERDIT. Ce mot de "tabou" est un aveu de notre "consentement", de notre laxisme voire de l'avachissement de notre pensée et notre "complicité" à la culture du viol et des violences faites aux mineur·e·s.
Tabou, étymologiquement concerne ce qui est "sacré", et si l'on en croit le Larousse : "Qui est l'objet d'un tabou, d'une interdiction religieuse". Nous restons avec ce vocabulaire dans un héritage purement judéo-chrétien.
Ce premier sens évoque celui de la pratique. Le deuxième sens du mot "tabou" concerne la question du sujet ou d'une institution et, toujours selon le Larousse "qu'il serait malséant d'évoquer, en vertu des convenances sociales ou morales : Un sujet tabou. ... Auquel on ne peut toucher, qu'on ne peut critiquer, mettre en cause : Une institution vénérable et taboue."
Tout est là.
Un tabou est ce dont on ne parle pas.
Un interdit est ce qu'on ne fait pas.
Ce matin sur France Info, un homme d'église disait en substance qu'à l'époque il n'avait pas l'impression de faire quelque chose de mal. Quelle confusion... La question n'est pas le mal. Nous ne sommes pas dans un débat uniquement d'ordre moral, mais bien d'ordre légal. Les agresseurs ont souvent conscience du mal, ils n'agressent pas en plein jour et au vu de tous. Beaucoup savaient, se sont "confessés" en dehors des lois de la République, ont "levé le tabou".
Ce midi, je confesse que je zappais un peu frénétiquement me demandant quelle chaîne d'info allait (enfin) bien titrer cette actualité. Toujours sur France Info et sur d'autres chaines d'info en continue (BFM, LCI...), on pouvait lire en bandeau titre : "pédophilie, un tabou français".
Je n'en revenais pas. Après #MeToo, Vanessa Springora, Camille Kouchner et tant d'autres, comment pouvait-on encore faire usage d'un vocabulaire aussi inapproprié ?
La pédophilie n'est pas l'amitié des enfants. Ce n'est pas un tabou. C'est un interdit pénal.
Chers journalistes, revoyez votre vocabulaire, j'aurais aimé lire ce mardi matin : "Pédocriminalité, un interdit toujours contourné". Un interdit à rappeler. Un interdit qui nous construit, qui nous protège. Le sens que nous devons retenir n'est pas le tabou, qui en excuse tant mais celui de l'interdit et du rappel de la Loi.
Apprenons à nos enfants et aux générations d'aujourd'hui et de demain, la réalité de cet interdit pour qu'il n'y ait plus de confusion entre un crime qu'on passe sous silence et un crime que l'on révèle.
A tous les adultes citoyens que nous sommes, n'oublions pas que le signalement est également une obligation légale, comme le précise l'article 434-1 du code pénal :
"Le fait, pour quiconque ayant connaissance d'un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende."
Nous devons sortir du choc de la comptabilité, de l'effroi, de la honte collective et prendre grandement conscience que le tabou nous pétrifie et entretient le flou, tandis que cet interdit des violences sexuelles sur mineur·e·s nous protège.
Par Fanny Mary, psychothérapeute