Au début du mois de novembre, une enquête étoffée de Mediapart rendait compte des abus subis par la comédienne Adèle Haenel à l'époque du film Les Diables, au tout début des années 2000. Des agressions commises par le metteur en scène Christophe Ruggia alors que l'actrice était encore mineure - elle avait alors entre 12 et 15 ans. Suite à ces révélations édifiantes, Adèle Haenel était revenue sur ces dires le temps d'un live Mediapart particulièrement poignant. Salué par la presse et les militantes féministes, son témoignage est tout simplement historique. Pour beaucoup, il est l'étincelle, les prémices d'une libération plus massive de la parole en France.
Au gré de ces mots, Adèle Haenel n'a pas hésité à le dire : à ses yeux, porter plainte serait particulièrement inefficace. Plus encore, le système judiciaire fait montre d'une certaine "violence" à l'égard des femmes abusées qui désirent simplement que justice soit faite. Des paroles volontiers fustigées par la Ministre de la justice. "Adèle Haenel a tort de penser que la justice ne peut pas répondre à ce type de situations", a déclaré la Garde des sceaux le 6 novembre dernier. Pour Nicole Belloubet, pas de doute : le système judiciaire "est en capacité de prendre en compte ce type de situations".
"En tant que femme je la comprends. Mais c'est pour ça qu'on est mobilisé au gouvernement, pour que ça change. Je ne suis pas pour l'injonction à porter plainte", avait de son côté modéré Marlène Schiappa au micro de France Inter. Or, en cette fin novembre, l'actrice a finalement décidé de saisir la justice, justement. Sa plainte, pour attouchements et harcèlement sexuel, à l'encontre du réalisateur Christophe Ruggia, sera bel et bien déposée, comme le relate Le Monde. Un geste courageux s'il en est.
Au cours du live organisé par Mediapart, Adèle Haenel le déplore : seul un viol sur dix aboutit à une condamnation en justice. C'est pour cela qu'elle exprime cette "violence systémique qui est faite aux femmes" à travers les médias. Sous cette démarche à la #MeToo, la comédienne interpelle directement le système judiciaire. A l'écouter, celui-ci "doit se remettre en question pour être représentatif de la société". En attendant que les choses changent, l'artiste a tout de même décidé de porter plainte.
Ce 26 novembre, des enquêteurs ont pris en compte ses accusations. Une enquête a été ouverte par le parquet de Paris. La plaignante s'est rendue à l'Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) de Nanterre, afin d'être entendue. Du côté de Médiapart, Adèle Haenel l'affirme désormais sans détour : elle n'a nul envie de "se dérober".
"Maintenant que la justice a ouvert une enquête, je souhaite faire tout ce qui est en mon pouvoir pour aller au bout du processus judiciaire. Ce que j'attends maintenant de la part de la justice, c'est un accompagnement et une réparation", a affirmé cette dernière à Mediapart. Cette réparation a trait aux diverses accusations qu'impliquent cette affaire. C'est à dire des faits de harcèlement, "d'emprise" psychologique sur la victime, mais également d'attouchements, de "baisers forcés dans le cou" par exemple, et ce à l'encontre d'une personne mineure au moment de ces abus.
Des accusations niées en bloc par Christophe Ruggia, qui a avant tout exprimé son regret "[d'avoir joué] les pygmalions" face à la jeune comédienne. Tout ne serait alors que "malentendus"... Ce sont ces dénégations publiques, expliquent les avocats d'Adèle Haenel à Mediapart, qui "l'ont déterminée à obtenir judiciairement la reconnaissance de son statut de victime".
Le regard peu enthousiaste que porte Adèle Haenel sur la manière dont la justice s'occupe des affaires de violences, agressions et harcèlement sexuels ne naît pas de rien, loin s'en faut. Il éclot d'un bilan peu réjouissant pour tout ce qui a trait à la prise en considération de la parole féminine. Rappelons par exemple qu'en France, 80 % des plaintes déposées pour violences conjugales sont classées sans suite. De quoi fermer le clapet de ceux qui n'ont que pour éternelle ritournelle "Mais pourquoi n'a-t-elle pas porté plainte ?". Ce geste n'a rien d'anodin pour les victimes. Il brasse avec lui la peur, la honte, le traumatisme. Pour le comprendre, il suffit de rappeler que, dans l'Hexagone, 13% seulement de victimes de viol interrogées en 2017 ont finalement déposé une plainte. C'est un chiffre qui vaut tous les discours.
En déposant tout de même cette plainte, la comédienne semble poursuivre cette volonté déjà exprimée dans l'enquête de Mediapart : en finir avec "l'impunité des bourreaux". Une lutte moins personnelle que collective. Adèle Haenel parle au nom de toutes celles qui ne peuvent le faire. Et surtout, que l'on écoute pas. Aujourd'hui, elle espère que "cette affaire participera au développement d'un système judiciaire plus apte a accompagner les victimes dignement". A celles-ci justement, elle semble dire : "Moi aussi".