80 %. C'est le taux des plaintes pour violences conjugales classées sans suite, selon un rapport édifiant de l'Inspection Générale de la Justice (IGJ). Oui, rien que ça : 80 %. Comme l'indique le Huffington Post, l'étude en question se focalise sur pas moins de 88 dossiers de violences conjugales, traités par le parquet entre 2015 et 2016. S'il y a bien une chose que met en évidence ce chiffre cinglant, ce sont les dysfonctionnements du système (judiciaire, entre autres) concernant le traitement et le suivi des cas de violences conjugales.
A l'heure où le nombre de féminicides s'accroît en France, ce n'est pas qu'un pourcentage, c'est une sonnette d'alarme. La ministre de la Justice Nicole Belloubet l'admet d'ailleurs. Au Journal du Dimanche, elle le déplore : "Très clairement, ça ne va pas. La chaîne pénale n'est pas satisfaisante". Quelques semaines après l'annonce des principales mesures au coeur du Grenelle des violences conjugales, demeure désormais cette interrogation, cruciale : comment améliorer cette situation critique ?
Nicole Belloubet se pose également la question. Pour la garde des Sceaux, il s'agit désormais de changer l'inacceptable. En formant de manière adéquate les autorités compétentes - celles qui recueillent les plaintes et se chargent de leur déposition - afin que celles-ci puissent correctement accueillir les victimes. "Il faut des formations à l'accueil des victimes, à leur suivi, dans les commissariats, dans les gendarmeries et dans les tribunaux", exige la ministre de la Justice. Selon Nicole Belloubet, l'important est avant tout d'instaurer un climat de confiance qui incite la victime à "verbaliser" ce qu'elle a vécu.
Cette "humanisation" des rapports, le commissaire Michel Lavaud la juge cruciale. A l'écouter, les policiers doivent carrément se mettre "à la place des victimes", énonce-t-il à Franceinfo. Les accompagner et les écouter. L'enjeu est clair : favoriser la "libération de la parole". Et pour faciliter ce dialogue, la relation entre commissariats, associations de lutte contre les violences faites aux femmes et partenaires sociaux doit être consolidée, car "ces associations facilitent la verbalisation, facilitent le fait de raconter l'enfer vécu", raconte-t-il.
Cette évolution nécessaire, Marlène Schiappa l'évoquait d'ailleurs déjà avec insistance en septembre dernier, interrogée par le Journal des Femmes à l'aune du Grenelle des violences conjugales dont elle est l'initiatrice. La prise en charge, l'hébergement et l'accompagnement des victimes doit s'améliorer, insistait-elle alors.
En réponse, l'ancien procureur de la République de Douai Luc Frémiot déplorait alors ces insuffisances du côté du magazine Marianne : "Le problème est que des plaintes ne sont pas prises dans certains commissariats et que des femmes victimes de violences ne sont pas accueillies et soutenues comme elles devraient l'être", disait-il. Que faire alors ? Garantir "une prise en compte immédiate" des premières violences par les services de police et de gendarmerie, s'assurer que les procureurs de la République traitent "immédiatement" les plaintes, expulser l'auteur des violences du domicile familial et confier celui-ci à des psychiatres ou psychologues par exemple, développe encore Luc Frémiot au journal 20 Minutes. Mais surtout, insiste l'ex-procureur, il faut en finir une bonne fois pour toutes avec "les classements sans suite" des plaintes.
Ces classements sans suite indignent également Anne Bouillon, avocate au barreau de Nantes. A France Inter, elle témoigne de cette dure expérience qu'est le dépôt de plainte, et de la "confrontation" qu'il implique, parfois insupportable pour des femmes déjà fragiles psychologiquement. Celles-ci ont l'impression d'être traitées sans la moindre considération. "On leur demande de serrer les dents. Ou de ne rien dire parce que cela porterait préjudice évidemment à leur conjoint mais aussi aux enfants. 'Pensez aux enfants, madame, parce qu'ils n'ont pas mérité ça'. Ce discours culpabilisant à l'endroit des femmes n'est plus acceptable", fustige-t-elle.
Nombreuses sont les voix anonymes à dénoncer sur les réseaux sociaux et dans les médias une forme de "violence institutionnelle" normalisée. A savoir, cette impression de ne pas être suffisamment protégée par la police et la justice malgré de nombreux appels à l'aide. "Ce n'est pas facile de parler, de dire des dizaines de fois ce qu'on a vécu. Finalement, quand on ne vous écoute pas, c'est une humiliation, un mépris total", décrit en ce sens Astrid, victime de violences conjugales, au magazine Le Point.
Le lendemain de la marche organisée pour la mémoire de Sylvia Walter, assassinée par son conjoint à son domicile, ces mots n'en sont que plus violents.
Sylvia Walter est morte sous les yeux de sa fille, Stella Guitton. A France Bleu, cette dernière confiait il y a peu sa colère, les yeux rougis par les larmes. "C'est bien beau de porter plainte, mais ça n'aide pas. Personne n'a voulu nous écouter", s'attriste la jeune femme endeuillée. Un témoignage auquel réagit désormais Laurence Rossignol. L'ancienne ministre des Droits des femmes et présidente de l'Assemblée des Femmes a affectivement demandé au gouvernement de "faire réexaminer toutes les plaintes pour violences conjugales", assure-t-elle sur Twitter. Une réaction face à l'inacceptable.