Cela fait deux mois qu'onze groupes de travail, aussi bien composés de membres d'associations que de représentants de l'Etat, potassent leurs propositions dans le cadre du Grenelle des violences conjugales initié le 3 septembre dernier par la secrétaire d'Etat à l'égalité femmes-hommes Marlène Schiappa à Matignon.
Et ce mardi 29 octobre, ce sont donc soixante-cinq "solutions" qui viennent d'être révélées au grand public, à l'heure où le taux de féminicides ne cesse de croître en France. De nombreuses initiatives qui concernent autant le travail que la santé, l'économie que l'éducation. En voici les grandes lignes.
Au journal La Croix, Marlène Schiappa insiste d'abord sur la nécessité "d'un protocole clair" à établir au sein des gendarmeries et des commissariats. Comprendre : assurer une meilleure formation des professionnels ("parfois démunis", déplore à juste titre la politicienne) pour tout ce qui a trait à l'écoute et au suivi des victimes de violences conjugales. Aucune d'entre elle ne doit plus repartir de ces lieux volontiers redoutés "sans connaître ses droits et savoir où trouver du soutien", appuie la secrétaire d'Etat.
Marlène Schiappa annonce en ce sens la mise en place d'une "grille d'évaluation des dangers" sur laquelle planchent actuellement le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner et le secrétaire d'Etat à l'Intérieur Laurent Nunez. L'idée ? Evaluer "l'imminence du danger" pour toutes les victimes qui se présentent aux autorités, et ce grâce à une "méthodologie précise" imaginée en compagnie des associations d'aide aux victimes.
L'une des ambitions de ce Grenelle est de clarifier le traitement par la loi des violences psychologiques, entre harcèlement moral et traumatismes. Il importe pour cela de mieux considérer "la notion d'emprise" - des conjoints sur leurs victimes - au sein des textes officiels et, par-là même, tout ce qu'elle implique. Comme les situations de "suicides forcés" par exemple, ce sujet encore trop peu pris en compte. "Je pense au cas où un homme violent a forcé son ex-conjointe à sauter par la fenêtre", explique la secrétaire d'Etat. A l'écouter, la responsabilité des agresseurs concernant ces "suicides" n'est pas encore suffisamment reconnue par la loi.
Derrière la prévention, cette attention portée sur les auteurs de violence doit également engendrer l'action. En réquisitionnant les armes à blanches et armes à feu desdits auteurs par exemple, et ce dès la première plainte déposée par la victime. Un protocole encore inexistant et qui pourrait bientôt être entrepris sous l'autorité de Christophe Castaner.
Par-delà les violences physiques et morales perdure un autre fléau, affirme la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes : les violences économiques. A savoir, l'emprise financière que maintiennent les agresseurs sur leurs victimes, en faisant annuler leur carte bancaire par exemple. A l'entendre aujourd'hui, il convient de mieux prendre en compte cette privation de ressources en garantissant "l'émancipation économique" des victimes, et ce en collaboration avec les banques.
C'est ce que prévoit d'ailleurs la loi ambitieuse que Marlène Schiappa désire mettre en place en 2020, aux côtés du ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire : assurer cette indépendance financière par le biais d'aides et de prêts. En parallèle, la secrétaire d'Etat souhaite mieux rembourser "la prise en charge psychologique" des victimes et garantir l'évolution d'un fonctionnement administratif qui "enferme les femmes dans leur relation de couple" (en les obligeant au compte bancaire commun par exemple).
Puisque ces propositions majeures visent à protéger toutes les victimes, aucune d'entre elles ne doit être ignorée. Et surtout pas les enfants. Supprimer l'autorité parentale des auteurs de féminicides serait peut être un bon début, dans la mesure où ceux-ci "ne peuvent plus être considérés comme de bons pères", explique Marlène Schiappa. Il convient dès lors de modifier dans la loi ce qui a trait à l'obligation d'aide alimentaire aux parents. "Devoir subvenir aux besoins d'un père, qui a tué votre mère, c'est une violence supplémentaire", observe la secrétaire d'Etat.
Mais bouger les lignes peut être compliqué. "Puisque suspendre l'autorité parentale, c'est ôter les droits et devoir d'un parent, mais aussi ôter l'obligation de payer une pension alimentaire", détaille Marlène Schiappa. On s'en doute, ce rapport primordial entre violences et enfants passe également par l'éducation nationale. C'est pour cela qu'une formation spéciale consacrée à "l'égalité filles/garçons" est amenée à s'étendre au sein de tous les établissements scolaires de France.
D'autres initiatives ressortent aussi de ce Grenelle national. Comme le partage du secret médical entre les divers milieux professionnels (urgentistes, avocats, police...). Une évolution importante qui permettrait de "mieux protéger les femmes", énonce Marlène Schiappa, en autorisant par exemples les médecins à signaler aux forces de l'ordre des cas de violences conjugales - afin de prévenir leurs éventuelles récidives.
"J'ai souhaité que les propositions du Grenelle se fassent en toute transparence, car les violences conjugales ne sont pas une affaire privée, c'est l'affaire de toute la société", a déclaré Marlène Schiappa à Radio Classique. Reste désormais à constater la pertinence desdites solutions. C'est d'ailleurs ce que suggère la ministre : que la société française puisse dès aujourd'hui "s'emparer des propositions des groupes de travail et réagir".
Ce Grenelle des violences conjugales se conclura le 25 novembre, date de la journée pour l'élimination des violences faites aux femmes.
- Si vous êtes victime ou témoin de violences conjugales, appelez le 3919. Ce numéro d'écoute national est destiné aux femmes victimes de violences, à leur entourage et aux professionnels concernés. Cet appel est anonyme et gratuit 7 jours sur 7, de 9h à 22h du lundi au vendredi et de 9h à 18h les samedi, dimanche et jours fériés.
- En cas de danger immédiat, appelez la police, la gendarmerie ou les pompiers en composant le 17 ou le 18.