C'est la voix encore tremblante d'émotion et les yeux rougis par les larmes que Stella Guitton s'exprime au micro de France Bleu Alsace. Ce 10 novembre 2019, sa mère Sylvia Walter est morte, dans sa maison d'Oberhoffen-sur-Moder, tuée à coups de couteau par son mari, Jacqui Walter. Appelée en urgence par celle-ci, Stella Guitton est arrivée "trop tard". Elle a vu sa mère agoniser. Cela faisait des années que son conjoint et assassin la violentait. Les services de police étaient au courant. Pour la jeune femme, cette tragédie démontre leur impuissance face aux féminicides.
Cela faisait précisément quatre ans que sa mère était "rouée de coups" par son conjoint, explique-t-elle au journaliste. Celui-ci avait pour habitude de "cacher un couteau". Lorsqu'à 23h, appelée par sa mère et alertée par ses cris, elle fonce vers son domicile, Stella Guitton prévient la gendarmerie dans sa voiture. Mais elle arrivera bien avant les forces de l'ordre. Elle raconte : "J'ai eu le temps de défoncer la porte, d'être menacée par mon beau-père avec son couteau, d'appeler les pompiers, de voir ma mère mourir". Aujourd'hui, son témoignage bouleverse. Et résonne comme un cri d'alarme.
Un cri face à l'assourdissante réalité des féminicides - il s'agit là du 131e meurtre conjugal constaté en France depuis le début de l'année. Face au désarroi des victimes comme Sylvia Walter, qui depuis des années "n'a jamais voulu parler par peur pour elle et pour défendre [son mari]", déplore sa fille. Et, surtout, face au traitement des violences conjugales et à l'accueil des victimes par les autorités compétentes. Stella Guitton raconte ainsi le sentiment de lassitude qu'elle a éprouvé face aux mesures de prévention et de protection proposées par les gendarmes, bien avant le drame. Comme ces invitations à quitter son domicile ou à porter plainte.
"C'est bien beau de porter plainte, mais ça n'aide pas. On lui dit, 'Madame il faut que vous partiez', mais elle leur répond 'Je suis chez moi aussi, j'ai mon chien, j'ai ma vie ici'. Alors on la raccompagne sur le canapé et on lui dit 'Bonne nuit, madame.'. Le lendemain, on n'est même pas sûr qu'elle se réveille", s'attriste désormais la jeune femme endeuillée. C'est encore l'incapacité d'un système dans sa globalité que dénonce avec émoi Stella Guitton. Énoncé au micro de France Bleu, son constat est aussi lucide que douloureux : "Personne n'a voulu nous écouter".
Pour l'ancienne ministre écologiste Cécile Duflot, ce témoignage est l'expression d'une urgence sociale. Un appel à l'action gouvernementale. "La parole de cette toute jeune femme. Sa mère morte dans ses bras. Le coeur à l'envers. La rage impuissante. Alors qu'il serait possible d'agir. Les féminicides ne sont pas une fatalité", explique l'actuelle Directrice générale de l'ONG Oxfam.
Et c'est également sur cela qu'insiste la militante féministe Caroline de Haas, instigatrice du mouvement de protestation et de sensibilisation Nous Toutes, en s'adressant directement au Ministre de l'Intérieur Christophe Castaner et à la Garde des Sceaux et Ministre de la Justice Nicole Belloubet : "Des femmes meurent. L'État ne les protège pas. Réagissez".
Comme une lointaine réponse, Marlène Schiappa a évoqué sur son compte Twitter sa "matinée de travail" consacrée aux "améliorations de la loi", dans le cadre du Grenelle des violences conjugales dont elle est l'initiatrice. C'est à la secrétaire d'État chargé(e) de l'Égalité entre les femmes et les hommes que semble également s'adresser cet impératif : "Réagissez".