Elles sont cinq, âgées de la vingtaine. Lundi 27 juillet, elles ont été condamnées à deux ans de prison ferme et 300 000 livres égyptiennes (environ 16 000 euros) d'amende par un tribunal du Caire. Leur crime ? Avoir posté des vidéos sur le réseau social TikTok, que les autorités ont jugées "indécentes", incitant à la débauche et "violant les valeurs et les principes de la famille égyptienne".
Dans ces clips de quinze secondes, elles dansent, elles s'amusent, elles parlent. L'une des deux jeunes femmes dont le nom a été divulgué, Mowada al-Adham, suivie par deux millions de fans, s'est affichée en short et en boléro en ligne, dans des vidéos parodiques. Un comportement "honteux et insultant", selon l'accusation. La deuxième, Haneen Hossam, suivie par plus 1,3 million d'adeptes, a proposé à ses abonné·e·s de collaborer avec elle sur les réseaux sociaux, rapporte l'Agence France Presse.
Elle aurait encouragé les jeunes femmes à partager des vidéos et à discuter avec des inconnus en échange d'argent sur une autre plateforme, l'application Likee. Pour les autorités, il s'agit de promotion de la prostitution. Pour la défense, le jugement est ridicule.
"Deux ans ? 300 000 livres égyptiennes ? C'est vraiment quelque chose de très dur à entendre", lance Samar Shabana, l'assistant d'Ahmed el-Bahkeri, l'avocat de Mowada al-Adham. "Elles veulent juste des abonné·e·s. Elles ne font partie d'aucun réseau de prostitution, et ne savaient pas que c'est ainsi que leur message serait perçu par les procureurs". Elles pourront faire appel le 17 août.
Pour les féministes, le constat est terrible. "Le verdict est choquant, alors qu'il était attendu. Nous verrons ce qui se passera en appel", a déclaré Intissar al-Saeed, avocate spécialisée dans les droits des femmes, à AlJazeera. "C'est encore un indicateur dangereux... Indépendamment des opinions divergentes sur le contenu présenté par les filles sur TikTok, ce n'est toujours pas un motif d'emprisonnement".
Depuis l'arrivée au pouvoir du président Abdel Fattah el-Sissi, en 2013, la série d'arrestations pour "questions morales" s'inscrit plus largement dans le cadre d'une répression des libertés individuelles, constate l'Associated Press. En 2018, il a ainsi approuvé une loi sur la presse et les médias, autorisant notamment la surveillance des utilisateurs de réseaux sociaux de plus de 5000 abonné·e·s.
Et les motifs sont souvent flous. "Utilisation abusive des médias sociaux", "diffusion de fake news" ou "incitation à la débauche et à l'immoralité" : des accusations qui visent principalement les jeunes femmes. Le mois dernier, un tribunal égyptien a ainsi condamné la danseuse du ventre Sama al-Masry à trois ans de prison pour incitation à la "débauche" sur les réseaux sociaux après avoir aussi publié une vidéo de danse TikTok.
Une pétition en ligne largement diffusée demande aux autorités de libérer les neuf personnes détenues pour ces chefs d'accusation. "Nous craignons et nous nous inquiétons de cette répression systématique qui vise les femmes à faibles revenus", écrivent les signataires. "Nous ne pouvons pas ignorer la tutelle sous-jacente sur les utilisatrices de TikTok. En raison de leur classe sociale, elles sont punies et privées de leur droit de posséder leur corps, de s'habiller librement et de s'exprimer."
Pour attirer davantage l'attention sur ce cas, et appuyer la demande de libération des jeunes femmes, un hashtag en arabe que l'on peut traduire par "avec l'autorisation de la famille égyptienne" a été lancé.