Harcèlement, "drague" insistante, violences sexuelles... Une nouvelle enquête du journal en ligne Médiapart publiée ce 29 avril réunit de nombreux témoignages de femmes, journalistes et autrices notamment, visant le polémiste et misogyne notoire Eric Zemmour. Le 24 avril déjà, l'élue socialiste Gaëlle Lenfant accusait l'éditorialiste d'agression sexuelle, relatant des faits qui auraient eu lieu en 2004 ou 2005. Dans le cadre d'un atelier, le journaliste aurait attrapé l'élue par le cou et l'aurait embrassée de force.
"Il m'attrape par le cou, me dit 'cette robe te va très bien tu sais ?' et m'embrasse de force. Je me suis trouvée tellement sidérée que je n'ai rien pu faire d'autre que le repousser et m'enfuir en courant. Trembler. Pleurer. Me demander ce que j'avais bien pu faire", narre Gaëlle Lenfant sur Facebook. Des témoignages similaires s'énoncent depuis sur les réseaux sociaux et sur Médiapart. Comme celui de la journaliste Aurore Van Opstal. Lors d'un dîner, Eric Zemmour lui aurait "caressé le genou avec sa main" en "remontant jusqu'à l'entrejambe".
"J'étais tétanisée, sous le choc. Je ne comprenais pas ce qu'il se passait", détaille-t-elle à la journaliste Marine Turchi. Autre accusation d'agression sexuelle, dans la bouche de Nathalie, une maquilleuse du talk show Ça se dispute : "Eric Zemmour m'a plaqué contre le mur et m'a dit : 'Tu ne comprends pas que je veux b*iser avec toi'", narre la victime présumée. Eric Zemmour aurait posé "une main sur [son] bras et l'autre au-dessus du sein, près de l'aisselle" et lui aurait également dit : "Appelle-moi, il faut qu'on se voie, je peux te faire bosser".
On pourrait encore citer le témoignage accablant d'Anne, journaliste, qui narre sa rencontre avec l'éditorialiste dans un café parisien : "Il n'a pas arrêté de me draguer. [...] Je l'ai repoussé gentiment au départ [...] mais il revenait à la charge, profitant de son statut [...] Il m'a demandé de le remercier [d'avoir payé l'addition], s'est penché et m'a embrassé[e]. Il a mis sa langue et tout ! Je l'ai repoussé encore mais pas assez franchement. Quand nous sommes sortis du café, il m'a réembrassée et je me suis laissée faire. [...] Quel goujat !", raconte-t-elle.
Ces nombreuses prises de parole, qui n'ont pas encore été commentées par le principal concerné, nous renvoient volontiers aux déclarations pour le moins anti-féministes du journaliste.
Car cela fait vingt ans qu'Eric Zemmour normalise dans le champ médiatique, d'ouvrages en plateaux télé, la misogynie la plus décomplexée. On pense aux assertions tranquillement réacs de son best-seller Le suicide français, type : "[Avant le féminisme], un jeune chauffeur de bus pouvait glisser une main concupiscente sur un charmant fessier féminin sans que la jeune femme porte plainte pour harcèlement sexuel". Aux "réflexions" de son premier grand succès en librairies, Le premier sexe, comme celle que ravive d'ailleurs Médiapart : "Le poil nous rappelle que la virilité va de pair avec la violence, que l'homme est un prédateur sexuel, un conquérant".
A ce discours on ne peut plus limpide également, prononcée en 2013 face à une Léa Salamé interloquée : "Le sexisme, c'est le délire féministe depuis quarante ans". Dans l'émission Ca se dispute, Eric Zemmour raillait dès lors les accusations de sexisme visant députés et parlementaires. "Comment les femmes sont-elles entrées à l'Assemblée nationale et au Sénat ? Par des lois de parité qui ont obligé les gens à les mettre sur des listes. Et je ne vous dirai pas comment on les a mises là... On a mis les amies, les femmes, les maîtresses", énumérait-il. C'est justement le "délire féministe", comme il l'appelle, qui occupe grand nombre de ses prises de parole.
De cet échange vif face à la femme politique et militante féministe Clémentine Autain sur le plateau de Laurent Ruquier aux "analyses" du journaliste fignolées en live sur le plateau de Face à l'info l'an dernier ("Aujourd'hui, la militante Olympe de Gouges a droit à deux pages dans les livres d'histoire, elle en a plus que Robespierre. Il y a une volonté chez les féministes de réécrire l'Histoire"), la médiatisation de la parole d'Eric Zemmour n'a cessé de traîner avec elle une diabolisation des révolutions féministes et du progressisme.
A tel point d'ailleurs que bien des paroles expertes voient en lui la voix masculiniste (et viriliste) majeure de la télévision française. Dans un article intitulé "Le masculinisme : entre crise de l'identité masculine et volonté d'un retour au patriarcat", Marianne Dalmans explique à ce titre : "Zemmour considère que la demande de parité des femmes a féminisé la politique et la façon de faire de la politique. Les politiciens ne seraient plus des hommes qui tuent leur adversaire, des hommes de pouvoir avec leur trivialité et leur privilège de langage machiste, mais des hommes de consensus avec un vocabulaire féminin".
Dans son ouvrage Le premier sexe, rappelle l'autrice, l'auteur déplore effectivement le triomphe "de la douceur sur la force, du dialogue sur l'autorité, de la paix sur la guerre, de la tolérance sur la violence". Alors qu'Eric Zemmour a décliné la demande d'entretien de Médiapart, c'est, à travers ces accusations, "son comportement envers les femmes" qu'affirme épingler le média en ligne. Soit une "attitude" particulièrement virulente que cristallisent également écrits et interventions médiatiques. Agressive, et particulièrement minimisée.
Et Médiapart de rappeler en ce sens ces lignes pour le moins explicites du journaliste : "L'homme ne doit plus être un prédateur du désir. Il ne doit plus draguer, séduire, bousculer, attirer. Toute séduction est assimilée à une manipulation, à une violence. L'homme n'a plus le droit de désirer, plus le droit de séduire. Il ne doit plus qu'aimer". Curieuse nostalgie s'il en est que celle de regretter les "prédateurs du désir".