Il y a des écrits qu'il faut lire, comme ceux d'Annie Ernaux, il y a des films qu'il faut voir, comme la deuxième collaboration entre Claude Chabrol et son âme sœur de plateaux Isabelle Huppert : Une affaire de femmes. Titre à la fois grave et ironique, qui dit tant sans rien énoncer pourtant.
Film à voir, à revoir, et cela tombe bien : francetv vous le propose tout à fait gratuitement, en vous rendant sur cette page. Mais c'est quoi, Une affaire de femmes ? Simple : l'histoire vraie de Marie-Louise Giraud, une des dernières femmes guillotinées en France, qui s'était donnée comme "occupation" monétisée... De faire avorter toutes celles qui venaient la voir clandestinement avec ce dessein.
A l'époque où cette mère de famille comme les autres agit, nous sommes en pleine France de Vichy, bien loin encore, même, de la société dépeinte par le dévastateur L'événement d'Audrey Diwan. Chabrol dépeint cette France sous l'occupation, faite de violences patriarcales et de délation, qui conduira notre protagoniste, interprétée par l'immense Huppert, à être exécutée le 31 Juillet 1943. Quand bien même, c'est quelque chose de bien plus pernicieux qui dans le film, scelle son destin tragique.
Non content de saisir l'intensité toute contenue de l'actrice de Violette Nozières et La cérémonie, le cinéaste capte une autre puissance, palpable, indéniable : celle de Marie Trintignant. C'est une partition qui compte beaucoup dans sa carrière...
Avec Une affaire de femmes, Marie Trintignant fait ses premiers pas dans le cinéma de Claude Chabrol. Nous sommes en 1988. Marie Trintignant incarne Lucie (ou Lulu), prostituée qui trouve refuge auprès du personnage incarné par Isabelle Huppert. Et si on a déjà pu la voir chez Alain Corneau (Série noire), Pierre Granier-Deferre, ou dans les films de sa propre mère, Nadine, elle se révèle sous un autre jour aux yeux du grand public avec ce film qui alignera les nominations aux César.
Deux ans plus tard, elle enchaîne pas moins de trois productions en une année, dont une chronique conjugale de Michel Deville, qui en fait le coeur de son récit : le sensuel Nuit d'été en ville. Si les Français ont découvert Marie Trintignant très jeune à l'écran, c'est toute une carrière qui se déploie dès lors pour elle. S'ensuivront les films d'Arthur Joffé, Pierre Salvadori, Elie Chouraqui...
Il faut dire que ce rôle secondaire pour Marie Trintignant éclot dans une oeuvre de défense des droits fondamentaux des femmes qui sera célébrée à travers le monde. Une affaire de femmes ressort triomphant du Festival de la Mostra de Venise 1988 (Isabelle Huppert y est couronnée) mais aussi de bien des festivals états-uniens, des Los Angeles Film Critics Association Awards aux New York Film Critics Circle Awards... Marie Trintignant retrouvera le jovial metteur en scène 4 ans plus tard avec un film qui cette fois-ci lui dédie un espace n'existant que pour elle : Betty, en 1992.
Revoir ce film très important, restauré en 4K par le laboratoire Éclair Classics avec l’aide du CNC, c'est aussi se souvenir de son accueil pour le moins... Dramatique. Une séance parisienne du 8 octobre 1988 s'était vue tragiquement écourtée par l'attaque de catholiques intégristes. Ces derniers étaient venus jeter une bombe lacrymogène lors de la projection du film, à Montparnasse. Bilan : un mort.