Elle s'appelait Isabel Cabanillas. C'était une artiste et une militante féministe. Elle a été assassinée. Mère d'un petit garçon, elle n'avait que 26 ans. Et ce sont des centaines de femmes qui, aujourd'hui, réclament justice. Le 25 janvier dernier, les citoyennes de Juarez (au nord du Mexique) sont même descendues dans la rue pour s'en indigner auprès des autorités.
Isabel Cabanillas de la Torre a été tuée le 18 janvier. On ignore encore le motif de sa mort. Tout ce que l'on sait, c'est qu'elle a reçu plusieurs balles en pleine tête, après avoir quitté un bar qu'elle fréquentait avec quelques amis. Le crime a lieu en plein centre-ville de Juarez. S'il fait aujourd'hui l'objet d'une enquête à part entière, ce drame en dit long sur une situation plus globale, et très alarmante : la condition des femmes au Mexique, et plus particulièrement à Juarez, où les féminicides n'en finissent pas.
"Justice pour Isabel Cabanillas", "Pas une de plus"... C'est ce que scandent les nombreuses manifestantes venues rendre hommage à la peintre engagée, pancartes à l'appui. Des mots puissants qui nous renvoient aux slogans des marches les plus emblématiques comme celle du collectif Nous Toutes, visant à sensibiliser l'opinion publique quant aux violences sexistes et sexuelles. C'est également le nombre grandissant de féminicides que dénoncent les femmes mexicaines. Un phénomène si prégnant qu'il en est presque banalisé.
La preuve ? Quelques jours après le meurtre de l'artiste et activiste, une habitante d'un quartier de la ville a été interrogée, comme le relève le journal NPR. Amère et attristée, la citoyenne déclare : "J'ai entendu les coups de feu suivis de cris. Je savais tout de suite que quelqu'un avait été tué, car c'est ce qui se passe ici". Éloquent.
Car comme le détaille le média américain, on dénombre déjà pas moins de 64 homicides commis à Juarez depuis le début de l'année 2020. Une bonne soixantaine, en une vingtaine de jours seulement. L'an dernier, ce compteur morbide affichait pas moins de 1 500 meurtres. Mais par-delà ces crimes, il faut prendre en compte le nombre considérable de violences faites aux femmes. Et force est de constater qu'elles sont aussi systémiques que croissantes. Il y a un mois à peine, quatre serveuses étaient abattues dans un bar, en plein coeur de Juarez. De janvier à septembre 2019, ce sont au moins 726 femmes qui ont été assassinées au Mexique. Parmi ces féminicides, de nombreux cas de règlements de comptes associés au milieu du crime organisé et des narcotrafiquants, relève 20 Minutes.
Et cela ne date pas d'hier. Du début des années 90 à la fin des années 2000, les féminicides représentaient déjà 20% de tous les crimes commis à Juarez. A savoir, entre 380 et 700 meurtres de femmes observés en une petite dizaine d'années seulement, développe la revue interdisciplinaire Rita.
"Si Ciudad Juárez est désormais connue bien au-delà des frontières mexicaines, c'est que la ville est directement associée à la mort. Ciudad Juárez est devenue, en effet, depuis le début des années 1990, la ville qui tue les femmes", déplore le magazine. C'est dire si, des "une de plus" avant l'assassinat de la peintre, il y en a eu beaucoup, beaucoup trop. En mars 2018 déjà, les citoyennes criaient haut et fort leur colère et leur désespoir au coeur de la ville. En à peine trois mois, plus de trente femmes avaient été assassinées. Et c'est sans compter le nombre de femmes portées disparues...
Un bilan auquel vient donc s'ajouter le nom d'Isabel Cabanillas. Aujourd'hui, les ONG du monde entier expriment leur solidarité et exigent la justice pour l'artiste, comme l'énonce l'organisme Human Rights Oaxaca, qui défend le respect des droits des hommes et des femmes au Mexique. "Artiste et militante, Isabel Cabanillas a été retrouvée gisant dans la rue. Ce n'était pas un homicide, c'était un féminicide. Justice pour Isabel. Nous serons ta voix, ma soeur", a décoché l'illustratrice féministe Sofia Wedner. Au Mexique, nombreuses sont les femmes à parler pour toutes celles qui ne le peuvent plus.
Tel que le rappelle TV5 Monde, Isabel Cabanillas est la quatrième femme tuée à Juarez ce mois-ci. Administratrice du groupe féministe Hijas de su Maquilera Madre, Lydia Graco s'est fendue d'un bel hommage à son égard, relaté par le média francophone : "Je te pleure, Isa. Tu étais si pure, tu étais si pleine de vie. Je ne t'ai pas protégée, nous ne t'avons pas protégée. Je ne cesserai jamais d'exiger la justice et de crier ton nom. J'ai perdu une fille. Je n'ai que colère et souffrance". Un sentiment partagé par bien des voix à travers le pays.