Qui est Anna, ou plutôt Claire Carlyle ? Et surtout, quel lourd secret cherche-t-elle à cacher ? Pendant près de 500 pages, Raphaël, le fiancé de cette femme à la personnalité trouble, va tenter de répondre à ces questions. Car au terme d'une banale dispute conjugale, Claire a disparu sans laisser de trace. Accompagné de son ami, le flic à la retraite Marc Caradec, Raphaël va mener l'enquête. Une enquête qui va lui faire traverser la la France et le mener jusqu'à New York, dans le quartier bouillant et en pleine mutation de Brooklyn.
Thriller psychologique et féministe, réflexion sur le couple, plongée dans les arcanes sombres de la politique, La fille de Brooklyn est probablement l'un des romans de Guillaume Musso les plus aboutis et les plus saisissants. Il y a de la tension au coeur de ces pages, des chapitres qui se terminent sur des cliffhangers haletants, et puis toujours, ces personnages qui doutent, qui se cherchent, s'aiment et se font souffrir. Qui est Claire Carlyle, pourquoi la mort semble la suivrre partout où elle passe ? Nous avons discuté avec Guillaume Musso pour tenter d'en apprendre plus sur cette Fille de Brooklyn.
Guillaume Musso : Oui, c'est un roman sombre mais qui reste néanmoins très humain. Il y avait cette envie de mettre le suspense et l'intensité au centre du récit parce que cela correspond à ce que j'aime lire. C'est un terrain qui, à l'heure actuelle, est celui sur lequel je suis le plus à l'aise. Au fil des années, j'ai gagné de nouveaux lecteurs qui apprécient ce virage. En fait, je dirais que mes romans sont des thrillers sans en être vraiment dans le sens où il n'y a pas énormément d'action. Ce qui m'intéresse, ce sont les bouleversements d'ordre psychologique, les questions de couple, les secrets que l'on va cacher à l'autre. Donc je qualifierais plutôt ça de suspense psychologique.
Guillaume Musso : L'idée, c'était de partir de cette situation que l'on a tous connu. Une situation en apparence banale dans un couple : le moment où l'on tombe amoureux et où on questionne l'autre sur sa vie amoureuse et son passé. Et on a toujours cette inquiétude par rapport à ce que l'on va découvrir. Quand on est jeune, il y a moins de choses, mais plus on avance dans la vie, plus les gens ont forcément vécu et ont donc des valises. C'est paradoxal, parce qu'à la fois, on a envie de poser des questions sur l'homme ou la femme qu'on aime, mais en même temps, tout vouloir savoir de l'autre, est-ce que c'est bien ? On vit à une époque où on demande de la transparence sur tout, mais est-ce qu'une transparence totale dans une relation amoureuse c'est souhaitable ? Je ne le pense pas. D'abord parce que l'amour se nourrit beaucoup du mystère puis parce que notre liberté se définit par rapport à ce que l'on peut cacher ou pas à autrui. La réflexion sur le couple, c'est quelque chose qui existe dans différentes oeuvres, de Daphné du Maurier à Gillian Flynn, et c'est quelque chose que j'aime.
G.M. : Tout à fait. Dans les ¾ du roman, il y a une indétermination sur la nature profonde de cette femme, qui en plus est une absente-présente. C'est-à-dire qu'elle n'est pas là puisqu'elle a disparu. Et finalement, son portrait est rapporté sous forme de mosaïque grâce aux témoignages des personnes qui l'ont croisée, témoignages parfois complémentaires ou contradictoires. On voit quand même qu'elle est dans une zone grise, on ne sait pas si elle est animée de bonnes ou de mauvaises attentions. Cette ambiguïté des personnages, c'est quand même ce qu'il y a de plus intéressant parce qu'on vit dans une époque où on est saturé de fictions, que ce soit à travers les séries, les films ou les livres. Les gens connaissent les mécanismes de la fiction et vous pouvez les surprendre par la narration, mais aussi et surtout par la richesse et la complexité des personnages. J'aime beaucoup cette phrase de Dennis Lehane, qui dit "on voit toujours le pire chez le meilleur des hommes et le meilleur même chez les pires". Et bien sûr, les gens sont complexes dans la vie. Et donc, de bons personnages de romans sont forcément des personnages qui ont des parts de doute, des motivations parfois ambivalentes et dont la véritable nature va se révéler sous la tension de l'histoire.
G.M. : C'était volontaire. Les deux personnages principaux sont en fait Caradec, le flic, et Claire, la disparue. Lui, le narrateur, est finalement là pour faire avancer l'histoire. Il est un peu en retrait, il s'occupe de son fils. Finalement, on a ces deux hommes qui sont plutôt sympathiques mais qui sont à la recherche de leurs parents manquants, qui sont des hommes fragiles, qui se posent des questions. Alors qu'on a des femmes assez fortes, déterminées, éprises de liberté, que ce soit la journaliste, Claire, Zorah, ou les deux soeurs qui ont décidé de mener leur vie sans les hommes. Et on a donc cette galerie de portraits féminins, de femmes fortes mais qui ont été victimes des hommes par le passé. Il y a une espèce d'équilibre qui traduit peut-être un peu le monde qui nous entoure.
G.M. : C'est vrai. Ce personnage féminin est intéressant et j'ai eu plaisir à le construire. J'ai commencé la promotion du livre il y a quelques jours et pour tout vous dire, l'expression "polar féministe" revient souvent. Et ça me fait plaisir parce que j'aime ça, chez Stieg Larsson (l'auteur de la trilogie Millénium, ndlr) par exemple. Je suis content que les gens le perçoivent parce que c'était une volonté de ma part, ça correspond à ce que je pense et à ce que j'avais aimé chez Stieg Larsson.
G.M. : Oui, beaucoup et de plus en plus. Moi j'écris vraiment des romans qui sont résolument contemporains. Je ne dis pas que je n'écrirais jamais un livre historique, mais ce que j'aime faire et le territoire sur lequel je suis à l'aise, c'est écrire des romans qui essaient de capter l'air du temps, qui soient résolument ancrés dans l'époque, avec la complexité du moment présent. Parce qu'on vit à une époque à la fois très dure pour certains, un peu flippante sur l'avenir, et à la fois une époque merveilleuse par rapport aux avancées médicales, à l'espérance de vie qui s'accroit etc. Donc, je trouve tout ça passionnant. Moi, j'écris toujours mes romans en pensant à deux niveaux de lecture. Le premier niveau est plutôt dans le plaisir de la lecture et de progresser dans l'intrigue, tandis que le deuxième niveau essaie de traiter plusieurs thèmes, de poser des questions. Il n'y a pas de messages dans mes romans mais il y a des thèmes et des questions qui sont étudiés et qui sont posés. Et c'est aussi ce que j'aime dans le roman populaire. Il est lu par tout le monde mais chacun y trouve des choses différentes.
G.M. : J'adore The Killing, qui est pour moi un monument. Et oui, ce genre de séries m'inspirent. Quand j'ai commencé la rédaction de ce livre il y a trois ans, un journaliste m'avait demandé ce qu'était pour moi un bon roman, et je lui avais répondu qu'un bon roman c'est celui qui rend heureux celui qui le lit, c'est celui qu'on a hâte de retrouver quand on rentre chez soi le soir et qu'on regrette d'avoir terminé. Et une bonne série télé, c'est un peu ça. J'avais envie de ce côté addictif, j'avais envie d'écrire un livre assez long, avec une histoire qui a beaucoup de ramifications, avec un côté enquête à tiroirs. Et pour moi, l'une des plus grandes réussites de la télévision, c'est la version danoise de The Killing avec des histoires denses et une héroïne géniale. Ici, tout se mêle : la politique, l'enquête policière, la famille. Et on a cet effet papillon, où l'on voit que le meurtre d'une jeune fille va avoir des répercussions en chaîne sur des personnages multiples et sur des champs de la société très variés. Et l'idée d'écrire une histoire globale, c'était le projet que j'avais avec ce roman.
G.M. : Oui, mais ça se fait comme ça. Les gens travaillent tous les jours et il n'y a pas de raison objective pour qu'un écrivain ne le fasse pas. Pour écrire mes romans, je fais pas mal de voyages, je me documente beaucoup, donc il y a des moments où je n'ai pas besoin de pseudo inspiration. Mais ce rythme d'un roman par an, c'est vraiment un plaisir. Je n'ai pas de contrainte. Ce rendez-vous annuel avec les lecteurs c'est ma respiration naturelle et j'ai besoin de ça pour rester dans cette tension de l'écriture. En tout cas, ça me correspond parfaitement mais sans qu'il n'y ait de préméditation.
G.M. : On me sollicite très souvent pour écrire des scénarios originaux pour le cinéma ou la télévision. Là, il y a des adaptations qui sont en projet, à la fois télé et cinéma sur lesquelles je pourrais éventuellement participer. Et j'ai aussi un projet d'une adaptation au théâtre de La fille de papier, qui est un roman que j'ai écrit en 2010 et qui me tient vraiment à coeur.
G.M. : Il y a un projet qui commence à se dessiner et qui se ferait plutôt en langue anglaise. Je ne peux pas parler du réalisateur ou des acteurs, même moi je n'en sais rien pour le moment, c'est vraiment trop tôt pour le dire. Sinon, il y a actuellement un film qui est en train de se tourner en Corée du Sud qui est adapté de mon livre Seras-tu là ? avec cet acteur génial, Kim Yoon-seok, qui a notamment joué dans le thriller The Chaser. Pour le personnage féminin jeune, ils ont fait un casting de plus de mille actrices. C'est un projet très excitant. J'adore le cinéma coréen, c'est très inventif. Je suis beaucoup lu en Corée du Sud, j'ai une histoire avec ce pays qui est incroyable, et j'ai toujours eu beaucoup de propositions mais que j'avais toujours décliné. Mais là, ils étaient tellement enthousiastes, je n'ai pas pu refuser.
Guillaume Musso : Je suis en train de lire En attendant Bojangles d'Olivier Bourdeaut. Il vient d'avoir le Grand Prix RTL. C'est un petit livre incroyable, extrêmement bien écrit et qui est raconté à travers les yeux d'un enfant. Il voit vivre son père et sa mère qui s'adorent, et il fait partie d'une famille complètement loufoque et fantasque qui transforme la vie quotidienne en jeu. Il y a des réminiscences de Boris Vian, avec un univers un peu déjanté. Mais en même temps, on voit que la mère à des fragilités psychologiques. Donc très, très beau livre.
La fille de Brooklyn, de Guillaume Musso, ed. XO, 484 pages, 21,90 euros