C'est au 47e étage de la Tour Montparnasse, dans le bureau de son éditeur, que Guillaume Musso a reçu Terrafemina. Souriant et avenant, celui qui a vendu 1,6 millions de livres en 2014 n'est pas du genre à prendre la grosse tête. Pendant près d'une heure, il nous a parlé en toute simplicité des thèmes qui lui tiennent à coeur et bien entendu de son nouveau livre "L'instant présent". Sorti il y a quelques jours à peine, le treizième roman de Guillaume Musso explore une histoire d'amour sur vingt-cinq ans.
Tout commence lorsqu'Arthur se voit léguer un vieux phare mystérieux. Véritable cadeau empoisonné, le phare va lui faire traverser en accéléré les dernières décennies, de New York à Paris, de la mort de Kurt Cobain aux attentats du 11 septembre. Mais malgré sa malédiction, Arthur ne va pas pouvoir s'empêcher de tomber amoureux de Lisa...
Guillaume Musso : Je ne crois pas tellement au destin. Je crois plutôt au concept grec qu'on appelle le "kairos" et qui est la capacité à saisir sa chance au bon moment. C'est pour ça que le roman s'appelle "L'instant présent". Et puis je pense qu'on se gâche trop souvent la vie avec les regrets et les remords liés au passé ou avec les anticipations et les plans sur la comète que l'on fait par rapport au futur. On oublie tout le temps de vivre pleinement l'instant, on est tous débordés par le temps – et mon héros avec beaucoup plus d'intensité. Donc moi le destin, j'y crois quand je suis amoureux. Vous savez, on aime bien se raconter des histoires, se dire qu'on était destinés à s'aimer. Mais en tant que romancier, c'est sûr que le destin est un matériau dramaturgique exceptionnel. C'est vrai que l'on retrouve cette question dans pas mal de mes romans.
Guillaume Musso : Anaïs Nin a dit quelque chose que j'adore : "J'adore avoir écrit mais je déteste écrire". Dans l'écriture, il y a plusieurs phases. Au début, c'est génial, parce que vous commencez par conceptualiser l'histoire dans votre tête. A ce moment-là, tout paraît possible. Moi, j'ai des dizaines d'histoires qui trottent tout le temps dans ma tête et qui sont à des niveaux de maturation différents. Après, il y a le travail de recherche qui est nécessaire pour crédibiliser l'histoire. Là, on joue au journaliste et on part à la rencontre des gens. Par exemple, si j'écris un thriller, je vais aller rencontrer des policiers. Pour mes romans, j'ai passé du temps avec un fleuriste, un luthier, un sommelier, même avec Pierre Hermé ! Et puis les gens ont toujours des anecdotes intéressantes à raconter.
G.M. : Bien évidemment ! Les gens qui ont entre 30 et 40 ans et qui ont lu le roman me font des bons retours. Ils retrouvent des vieux morceaux de musique, des vieilles séries, des vieux films et ils me disent : "Je me souviens, j'étais au lycée quand Kurt Cobain est mort". C'était donc un très grand plaisir de revisiter ces vingt-cinq dernières années, à la fois d'un point de vue lié à l'actualité et à la fois d'un point de vue lié à la culture. J'avais envie de faire revivre les années 90 qui sont à la fois loin et proches. Puis, c'est ma jeunesse... J'ai découvert New York au début des années 90 et je voulais faire revivre cette époque-là. New York a beaucoup changé en une décennie, mais elle reste la ville où tout est possible, de l'attentat le plus atroce à la naissance de la plus belle des histoires d'amour.
G.M. : C'est un auteur que j'ai beaucoup lu à la fin de mon adolescence. Mon père et ma mère lisaient ses romans et moi j'ai commencé avec "Une prière pour Owen". C'était quelque chose que je n'avais jamais vu avant. Effectivement, c'est un auteur qui a compté.
G.M. : J'avais envie de brosser le portrait d'un couple sur vingt-cinq ans. Raconter leur rencontre, leur vie à deux, le moment où ils deviennent parents, mais aussi les difficultés qu'ils rencontrent. Donc on a une métaphore du couple même si là c'est assez particulier parce qu'ils ne se voient qu'une fois par an. Et puis il y a un côté beaucoup plus léger avec la relation entre Arthur et son grand-père Sullivan. Et c'est cette relation qui a été le déclencheur du roman. Dans la première version, Sullivan existait mais il était mort. Arthur apprenait à le connaître à travers le journal qu'il avait laissé. Il y avait donc beaucoup moins de vie et d'énergie. Et puis au bout d'un moment, j'ai eu envie de faire exister pour de bon Sullivan. Entre eux, il y a une complicité, une bienveillance partagée, de belles discussions... Finalement, ils se sauvent mutuellement. Sullivan est un mentor, et pour le créer, je me suis inspiré de mon propre grand-père, et de ces acteurs américains spécialisés dans ce genre de rôle comme Sean Connery, Clint Eastwood ou Paul Newman.
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G.M. : En fait, cet endroit m'a laissé une impression très forte. Lorsque tout était paisible, le paysage ressemblait à un tableau d'Edward Hopper, mais dès que le vent se levait on se retrouvait dans un roman de Stephen King. J'ai pris beaucoup de photos, j'ai lu l'histoire du phare et l'idée d'origine est venue assez vite. Et puis comme souvent, j'ai laissé ça dans un coin de ma tête. Je n'avais ni la fin, ni la ville de New York, juste l'idée de quelqu'un qui héritait d'un phare porteur d'une malédiction. Puis petit à petit un travail invisible s'est mis en place alors que je travaillais sur un autre livre. Je suis assez partisan de la théorie de Stephen King qui dit que les histoires préexistent au moment où les auteurs les écrivent. Il dit que le travail du romancier ressemble à celui de l'archéologue qui met à nu un squelette tout doucement. Donc je savais qu'il y avait matière à histoire dès que j'ai vu ce phare et c'est au fil des années que l'histoire s'est construite de façon un peu irrationnelle.
G.M. : Il n'y a pas de schéma type ou de recette. C'est vrai que dans " Central Park " et " L'instant présent " il y a un retournement de situation à la fin qui remet tout en cause, mais c'est plus un hasard qu'une volonté. Il ne faut surtout pas que ça devienne mécanique. Aujourd'hui, que ce soit à travers les séries télé ou les films, les gens sont très familiers des codes et des règles de la fiction. Donc il faut essayer de les surprendre, il faut faire en sorte qu'ils n'aient pas l'impression que vous appliquez une recette – ce qui n'est pas le cas. Alors bien sûr, on a tous des thèmes qui nous sont chers et que l'on veut développer de roman en roman. Mais j'ai en réserves des histoires qui traitent de thèmes que je n'ai pas encore abordés. Pour moi, l'écriture d'un roman c'est comme une histoire d'amour réussie. On dit qu'il faut rencontrer la bonne personne au bon moment. Pour un roman, il faut une bonne histoire mais il faut aussi que l'écrivain soit dans un état mental où il est apte à traiter ce thème-là. J'ai repoussé des histoires pendant dix ans parce que je ne me sentais pas capable de pouvoir les traiter au mieux.
G.M. : Le privilège d'être romancier c'est que vous vous effacez derrière vos romans. Moi je suis très fier que les gens aiment mes livres, mais je ne suis pas fasciné par les médias et les paillettes. Je n'aime pas la mise en scène. On me voit une fois par an au moment où je dois promouvoir mes romans. A ce moment-là, je rencontre des gens et c'est tout à fait normal, je me dois de présenter mon travail. Après, le côté image ne m'a jamais fasciné. Ce que j'aime, c'est raconter des histoires.
Guillaume Musso : Dans ce domaine-là, je pense que le meilleur en France, c'est Jean-Christophe Grangé. Il écrit depuis plus de vingt ans et dans les années 90, je pense qu'il a ouvert une voie aux raconteurs français. D'un seul coup, on a eu quelqu'un qui racontait des histoires qui se déroulaient en France mais qui faisait ça un peu à l'américaine. Et puis c'est quelqu'un qui a maintenu la qualité de sa production au fil du temps. Il arrive toujours à me surprendre. Je suis aussi très ami avec Maxime Chattam. On a commencé en même temps, on a le même âge, on se croise souvent... nos carrières d'auteurs et nos trajectoires d'hommes ont été un peu similaires. Je pense que c'est mon meilleur ami dans le domaine de l'édition. Après, j'aime aussi beaucoup le travail de Franck Thilliez et Gilles Legardinier. Selon moi, la fiction française se porte plutôt bien.
G.M. : Comme beaucoup de personnes, je prends de plus en plus de plaisir à regarder des bonnes séries et donc j'ai un peu délaissé les films. Je ne suis pas inspiré directement par la narration cinématographique et télévisuelle, mais quand on baigne là-dedans, forcément ça déteint sur vous en termes de découpage, de séquençage, de rythme. Mais dès mon premier roman ("Et Après"), je me souviens que les critiques disaient que mon écriture était visuelle et rythmée. Mais ça c'est dû à ma double culture : la culture littéraire et la culture de l'image.
G.M. : C'est vrai que j'aimerais trouver un héros – ou plutôt une héroïne récurrente que l'on retrouverait de livre en livre. Mais comme je vous disais, les choses mettent du temps à mûrir chez moi. Donc c'est plus que jamais à l'étude, j'y pense de plus en plus. Après, il faut être sûr. Quand on se lance avec un personnage que vous allez garder avec vous année après année, il faut être sûr que vous avez choisi le bon, que vous allez évoluer dans un univers qui va être suffisamment riche et que les personnages secondaires vont être suffisamment intéressants. C'est une envie que j'ai depuis longtemps et qui prend corps peu à peu.
G.M. : Oui... je ne sais pas d'où ça me vient (rires). Ça s'est imposé mais c'est aussi parce que la société est comme ça. Quand j'écris, j'aime bien me mettre dans le cerveau d'une femme. Même en temps qu'amateur de cinéma- j'en avais déjà parlé avec Terrafemina – j'adore les screwball comedy qui ont été popularisées dans les années 40 par des films mettant notamment en scène Katharine Hepburn. C'était la première fois à Hollywood que les femmes prenaient le pouvoir. C'étaient des comédies assez féministes et c'étaient les premières du genre. Les actrices volaient la vedette à des stars comme Cary Grant et c'était très moderne pour l'époque. Et c'est vrai que parmi mes romans que les lecteurs préfèrent – "L'appel de l'ange", "Central Park" - l'histoire tourne autour d'une femme assez forte qui mène la danse. L'homme est là, mais plutôt en retrait. Il existe mais il joue plus le rôle d'un accompagnateur face à une héroïne qui impulse l'action.
G.M. : Le roman que j'ai préféré ces dernières années a été écrit par une femme. Il s'agit de "Gone Girl" ("Les apparences" en VF) de Gillian Flynn. Il y a une vraie réflexion sur la place de la femme au sein du couple, elle analyse très bien le sujet : comment les femmes doivent-elles se positionner face aux attentes masculines ? A la fois, vous avez un suspense de premier plan, une réflexion sur le couple, et puis cette héroïne complètement fascinante. Je pense aussi à Camilla Läckberg, qui a justement réussi à suivre une héroïne sur la longue durée.
G.M. : Récemment, j'ai lu "Je vous écris dans le noir" de Jean-Luc Seigle (éd. Flammarion). C'est un livre excellent qui s'inspire du fait-divers Pauline Dubuisson. C'est une jeune femme qui avait été condamnée à mort dans les années 50 pour avoir tué son fiancé. Elle avait été graciée et libérée pour bonne conduite dix ans après. Ce livre est un portrait de femme fascinant. Sinon, j'ai aussi lu le polar "Une putain d'histoire" de Bernard Minier (sortie le 23 avril aux éditions XO). Ça se passe à Seattle et la chute est vraiment très bien. C'est un polar d'ambiance avec une tension dans la narration et une fin très forte.
L'instant présent de Guillaume Musso aux éditions XO, 21,90 euros