Même encore en 2016, l'Arabie saoudite est le seul pays au monde interdisant aux femmes de conduire. Et cette interdiction grotesque se voit justifiée par des pseudos recherches scientifiques avançant que la conduite pour les femmes aurait une incidence directe sur leurs ovaires. De fait, les Saoudiennes sont donc obligées d'avoir systématiquement recours à des chauffeurs privés ou à un homme de la famille.
Mais il semble que, pour certains, le seul fait de voir une femme en voiture, même côté passager, pose problème. Si bien que les agressions à leur encontre - intimidations, agressions verbales - deviennent monnaie courante. Dans ce climat d'insécurité grandissant, les chauffeurs endossent alors non seulement le rôle de taxi mais également de garde du corps. Des conditions de travail devenues compliquées pour ces hommes qui décident alors de changer de profession ou d'augmenter le prix de leur prestation pour compenser les risques qu'ils prennent. Énormément sollicités, certains conducteurs privés n'hésiteraient pas à faire monter leur prix jusqu'à 550 dollars (soit 490 euros) par mois, selon Yosra Abdulrahman, une jeune étudiante de 19, interviewée par le site Fusion.
Cette somme représente pratiquement le double des ressources dont disposent les étudiantes pour couvrir l'achat de leurs livres et payer les frais de transport. Aujourd'hui, de nombreuses jeunes femmes éprouvent des difficultés à payer ces nouveaux tarifs exorbitants. Mais cela va bien plus loin que la simple condition des étudiantes. Toutes les femmes se voient concernées et ne peuvent plus supporter cette situation, forcées de devoir déduire cette somme de leur salaire - pour le peu d'entre elles ayant le droit de travailler. Comme Faouzieh, professeure ayant témoigné sous couvert d'anonymat, toujours pour le site Fusion. "Je suis enseignante et je n'ai aucun homme pour me conduire au travail tous les jours. Mon père est décédé et mon frère est malade, il est donc très important pour moi que le gouvernement paie les frais de taxi. Cette somme ne devrait pas sortir de mon propre salaire".
Pour éviter de se retrouver contraintes à rester chez elles, des femmes tentent de se faire entendre sur Twitter, demandant au gouvernement de payer, à leur place, ces chauffeurs. Une internaute saoudienne explique, par exemple, qu'"une employée utilise un quart de son salaire pour payer un conducteur. Tandis que les veuves, elles, utilisent la moitié de leur pension".
Si les femmes se manifestent en grand nombre, certains hommes s'unissent à leur voix. L'un d'eux manifeste son incompréhension : "Interdire aux femmes de conduire les prive d'un accès à l'éducation, à l'emploi et peut même être la raison pour laquelle elles vont manquer un rendez-vous au médecin... Ceci est une injustice envers les femmes"
Une simple course ou même un rendez-vous se transforme alors, pour ces femmes, en véritable parcours du combattant, ne pouvant compter que sur un chauffeur qu'elles paieraient au prix fort afin qu'il soit disponible à tout moment. Yosra Abdulrahman raconte : "Je ne peux aller nulle part sans mon chauffeur. J'ai déjà dû manquer un rendez-vous chez le dentiste parce qu'il ne s'est pas présenté. Votre vie s'arrête littéralement si votre conducteur n'est pas là".
Si, en vertu des décisions archaïques et contradictoires des différent chefs d'Etats d'Arabie saoudite, les femmes ne sont pas autorisées à conduire, certaines ont décidé de protester. Officiellement, aucun texte ou décision judiciaire ne mentionne une quelconque interdiction.
Déjà, en 1990, la photographe et psychologue Madeha al-Ajroush, prenait le volant parmi 47 femmes pour imiter les GI américaines lors de la première Guerre du Golfe. Plus tard, d'autres femmes et mouvements font connaître leur désir de suivre le même chemin, comme en 2011, la naissance du mouvement Women2drive encourageant les femmes à conduire dans les rues malgré l'interdiction.
Ou encore en 2013, quand trois Saoudiennes demandent officiellement la levée de l'interdiction, rappelant "qu'il n'existe aucune loi interdisant aux femmes de conduire", et proposant la création d'auto-écoles au féminin. En réponse, l'Etat les avait condamné à payer une amende. D'autres sont parfois condamnées, interdites de voyage ou encore suspendues de leur occupation professionnelle et doivent la plupart du temps signer une clause dans laquelle elles promettent de ne plus recommencer.
Un projet de métro à Riyad, capitale de l'Arabie saoudite, pourrait bien donner enfin aux femmes la liberté de circuler lors de sa mise en service normalement en 2018. Le conseil municipale de la ville vient de confirmer, en ce début du mois de mai, la création de wagons exclusivement réservés aux femmes dans le futur métro. Une réelle révolution pour les foyers les plus modestes, notamment ceux de la ville, ne disposant d'aucun transport collectif, ni bus, ni tramway, ni métro.
Les six lignes prévues devraient desservir des ministères, des universités, un nouveau centre financier mais aussi de grands centres commerciaux ou encore l'aéroport. Un moyen de transport qui pourrait bien se présenter comme un point de départ vers une plus grande émancipation des femmes car largement exclues du marché du travail, alors même qu'elles sont de plus en plus diplômées. "Les Saoudiennes jouissent d'un bon accès à l'éducation", assure dans un entretien donné au Monde, Amélie Le Renard, sociologue au CNRS. "Plus de la moitié des étudiants dans les universités sont des femmes (56,6 % en 2011)." Une proportion qui ne se retrouve pas du tout dans la vie professionnelle, puisque les femmes ne représentent que 15% de la main d'oeuvre du pays.
Mais au final, qui s'agit-il de convaincre : les hommes au pouvoir ou tout un royaume ? Dans un pays où la conduite des femmes s'apparente à violer la cohésion sociale, n'oublions pas que les mentalités sont malheureusement plus lentes à évoluer que les lois. Plus qu'une révolution politique, une révolution culturelle.