Ces trente dernières années, le statut social des femmes sud-coréennes a largement évolué. Cantonnées durant plusieurs décennies à leur rôle de femme au foyer et mère de famille, elles se sont peu à peu extirpées du carcan familial et du système confucéen (respect des ancêtres et soumission à l'homme) pour devenir les égales de leurs concitoyens masculins. Preuve de la bonne volonté de la Corée du Sud, des quotas de femmes sont imposés dans les entreprises, elles ont droit à un congé menstruel, des espaces pour elles ont été créés dans les transports en commun, elles peuvent étudier les filières qu'elles veulent et, chose qui n'était pas gagné d'avance : elle peuvent demander le divorce (notons aussi que l'adultère n'est plus illégal depuis février 2015).
Mais cette émancipation n'est pas au goût de tout le monde. Comme le titrait Courrier International en avril dernier : "En Corée du Sud, la haine des femmes prend de l'ampleur". Seong Jae-gi, fondateur du mouvement pour la solidarité des hommes décédé en 2013 par noyade, avait tout particulièrement à coeur les "discriminations" dont seraient victimes les hommes à cause du service militaire. En Corée du Sud, celui-ci dure deux ans et les femmes n'y sont pas soumises. Si jusqu'en 1999, un avantage été accordé aux hommes ayant accompli leur service lors des recrutements pour la fonction publique, il a depuis été supprimé. Pour Seong Jae-gi comme pour beaucoup d'autres, les sud-coréennes en profiteraient naturellement pour voler leur travail.
Selon Courrier International, cette haine des femmes se cristallise particulièrement sur le forum ultraconservateur Ilbe. Chaque jour, des milliers de jeunes hommes se connectent et déversent leur colère à l'égard du féminisme, du Ministère de l'Égalité hommes-femmes et de la famille, et des femmes en général. Parmi les reproches qui reviennent souvent : la supposée superficialité des demoiselles et leur goût pour l'argent et les hommes riches. Également largement pointé du doigt, le Ministère de l'Égalité est accusé d'être "inutile" et de "gaspiller l'argent des impôts".
Si les femmes ont une plus grande place au sein de la société sud-coréenne, elles sont loin d'être les égales des hommes. Certes, elles sont maintenant aussi diplômées qu'eux, mais l'inégalité salariale reste très présente. En 2012, elles gagnaient ainsi en moyenne 37% de moins que leurs compatriotes masculins et si elles ont beau être aussi qualifiées que les hommes, elles ont beaucoup de mal à briser le plafond et se retrouvent cantonnées à des emplois sans responsabilités.
De plus, si les femmes sont maintenant extrêmement nombreuses à travailler, elles ont aussi beaucoup de mal à retourner sur le marché du travail après une grossesse. Culpabilisées par leurs familles et belles-familles, les jeunes mamans renoncent alors à leur carrière professionnelle. Interrogé par Euronews.com, le sociologue Eun-Kyung Bae estime : "La Corée est une société où l'éducation des enfants est égale pour les garçons et les filles, mais après le mariage et l'arrivée des enfants dans la famille, l'opportunité de travail s'arrête pour les femmes, la carrière professionnelle de la femme cesse. Avant on demande l'égalité mais après la femme a beaucoup de mal à retourner sur le marché du travail et elle doit supporter toute la charge familiale".
Des propos réitérés par la militante Lee Seon-mi et l'auteure Mok Soo-jeong lors d'un entretien accordé au site Les Influences.fr : "Même si on dit que les femmes participent beaucoup plus qu'avant à la vie économique du pays, ce n'est une réalité qu'au début de leur carrière professionnelle. En effet, elles travaillent beaucoup avant le mariage. Mais leur salaire est beaucoup plus faible par rapport aux hommes. Ainsi, quand elles se marient ou encore à l'arrivée du premier enfant, elles arrêtent de travailler; les frais de garde de l'enfant étant souvent supérieurs au salaire perçu. Quand les enfants sont plus grands, elles reprennent un travail. Mais cette coupure d'une dizaine d'année, leur interdit de reprendre leur carrière. Elles se retrouvent donc caissière ou femme de ménage, des emplois les moins rémunérés".
Alors, pourquoi tant de haine ? Parce qu'il faut bien trouver un bouc-émissaire, tout simplement. Si le taux de chômage est officiellement faible (autour de 4%), les jeunes diplômés peinent à trouver du travail. Un article du Monde.fr indique ainsi que "le travail temporaire est le lot de 40% des salariés" tandis que "la pauvreté relative frappe 12,5% de la population". En étant pour la première fois confrontés au chômage et à la précarité, beaucoup de jeunes Coréens pointent alors du doigt les femmes, qui selon eux ne se voient pas voler deux ans de leur vie avec le service militaire et à qui on accorde trop d'avantages. Des avantages qui prennent l'allure de poudre aux yeux selon le point de vue où l'on se place.