"Elsa Triolet n'aura eu de cesse de manier la langue pour mettre en mots le monde, l'homme, la femme, pour dire l'amour et la détresse, la solitude et les espoirs, le drame de la vieillesse, l'incandescence de la création." Par cette déclaration élogieuse, le directeur de la Maison Triolet-Aragon Guillaume Roubaud-Quashie illustre le talent immortel de la romancière, traductrice, critique, journaliste.
Un portrait réalisé pour une occasion précise : celle de la sortie du timbre à son effigie, dès le 14 juin 2021 dans certains bureaux de poste - et le 12 juin à Paris et à Saint-Arnoult-en-Yvelines (78). La pièce, conçue par la graphiste Ségolène Carron à partir d'un cliché de la photographe Gisèle Freund et éditée par La Poste, succède au timbre de Simone de Beauvoir, et invite à (re)découvrir le parcours iconique d'une grande penseuse.
Elsa Triolet est née Ella Yourievna Kagan, en Russie, de parents juifs intellectuels. La jeune femme fait de brillantes études, fréquentent les milieux révolutionnaires de Moscou et, en 1919, alors qu'elle déplore les conséquences humaines d'un mouvement dont elle embrassait pourtant les idées, émigre à Paris avec son mari, un officier français en poste à Moscou du nom d'André Triolet.
Si leur union ne dure pas, sa passion pour le pays et les lettres, elle, perdurera jusqu'à sa mort, en 1970. Elsa Triolet n'aura d'ailleurs de cesse de faire découvrir les richesses de ses deux cultures à l'une et l'autre. Elle se fait ainsi la traductrice du français au russe des oeuvres de Céline comme du poète Aragon - son compagnon - puis du russe au français des livres de Gogol, Tchékhov, Maïakovski...
Remariée à Louis Aragon le 28 février 1939, elle s'engage pleinement dans la Résistance dans la zone Sud (à Lyon et dans la Drôme) lors de la Seconde guerre mondiale, contribuant notamment à faire paraître plusieurs revues qui relaient des informations cruciales des lignes alliées, et encouragent les lecteurs à se comporter en "soldats français", révèle le Musée de la Résistance.
A la libération, elle remporte le prix Goncourt, premier attribué à une femme, pour son roman Le premier accroc coûte deux cents francs, phrase qui annonçait le débarquement en Provence. "Mais ce temps change vite et le vent glacial de la guerre froide ne tarde pas à éloigner Triolet des belles tribunes d'honneur. Anticommunisme et misogynie convergent pour tenir l'écrivaine dans l'ombre", poursuit Guillaume Roubaud-Quashie.
Une injustice qui ne l'empêchera pas de poursuivre sa carrière et, bien des années après sa disparition, d'inspirer encore de nombreuses générations. "On ne dira jamais assez pourquoi Elsa est un honneur pour la littérature française", déclarait Edmonde Charles-Roux, citée par le directeur de la Maison Triolet-Aragon. Avec ce timbre, La Poste contribue au moins à la célébrer.