Depuis quelques siècles, les rapports sexuels sont, en Occident, sous le joug de la science, ce qui entraîne une sorte de dissection permanente pour savoir ce qu'il faut faire, comment le faire et à quelle fréquence. Or cela engendre deux paradoxes.
Le premier est que les gens qui forment le corps médical sont eux-mêmes limités par leurs propres expériences, leurs tabous et leur pruderie. La sexualité génère encore de l'inconfort et de l'incertitude, deux stigmates fruits du puritanisme du XIXe siècle et qui subsiste ça et là, causant une certaine réserve jusque sur les bancs des facultés de médecine. Si les gynécologues et les urologues, dont la formation dure sept à huit ans, connaissent tout de l'appareil reproducteur, peu leur est enseigné sur la sexualité. Mais les choses bougent et il est de plus en plus largement admis que le domaine dépasse largement l'univers de la chambre à coucher et impacte l'ensemble de nos vies, la sexualité étant à la racine même de tous nos systèmes biologiques.
Cela dit, l'éclairage du corps médical n'aiguise pas l'érotisme, lequel se nourrit de l'imaginaire. Et c'est bien toute la difficulté à insister sur les bienfaits de la sexualité, car induire une nécessité au nom du bien-être tire vers une forme d'obligation fâcheusement désérotisante. Or, une sexualité épanouie (et ce qu'elle que soit la forme qu'elle prend) est plus indispensable encore que de bonnes nuits de sommeil ou une alimentation saine pour être en forme : la sexualité est l'expression même de la vitalité, et source de vie dans tous les sens du terme.
Le second paradoxe est que ni les statistiques ni les conseils sur la libido et les orgasmes ne permettent d'éveiller les désirs ou d'atteindre lesdits orgasmes. La science a pensé en termes comportementaux et commence à peine à y adjoindre tous les aspects biologiques et psychologiques, dont l'impact est pourtant certain.
Mais les choses évoluent. Selon les chercheurs Janssen et Bancroft, du Kinsey Institute, tout ne reposerait que sur le "modèle double de contrôle" : le mécanisme qui gère la sexualité dans le cerveau repose sur une paire de composants universels (un accélérateur sexuel et un frein sexuel) qui gèrent à la fois les sensations physiques, la stimulation visuelle et contexte émotionnel. Or la sensibilité de ces composants diffère d'une personne à une autre, comme les émotions, comme les apparences physiques. On sait qu'il n'y a pas deux vulves ou deux pénis identiques, qu'il n'y a pas d'empreintes digitales ou d'iris similaires, et que les apparences physiques différent d'un individu à un autre. On sait moins que la sexualité repose sur ce même principe de différenciation et c'est précisément ce qui en fait sa richesse. Si l'excitation, le désir et l'orgasme sont des expériences universelles, la façon dont les individus en font l'expérience dépend entièrement de la sensibilité de leurs freins et accélérateurs, et du type du stimulation qui leur est donnée. On comprend mieux ainsi que rien n'est mieux ou moins bien d'une personne à l'autre, chacun ayant une expérience différente.
De nombreuses personnes craignent d'être anormales, différentes, et cela entraîne chez elles de l'anxiété, de la frustration ou le sentiment d'être dysfonctionnelles. Or elles sont tout simplement uniques, comme tout le monde, si je puis dire. Le fait de ne pas réagir aux mêmes choses, ne rend une personne anormale, mais montre à quel point les individus varient.
On s'en réjouira certainement dans quelques décennies, quand les robots envahiront le marché du sexe, mais pourquoi attendre ?