En 2013, Kirstie Clements, ancienne directrice de l'édition australienne de Vogue publiait un livre aux anecdotes glaçantes baptisé "The Vogue Factor". Elle révélait notamment que certains mannequins se nourrissaient de mouchoirs en papier, mais mettait aussi en lumière un autre drame répondant au doux nom de "Paris Thin". Cette "minceur Paris" est celle requise pour défiler à la Fashion Week et selon Kirstie Clements, elle équivaut à deux tailles en moins par rapport à celles que les mannequins affichent en temps normal. Mais ce qui est considéré comme une norme dans le milieu de la mode pourrait bientôt devenir un délit grâce à Olivier Véran, député PS de l'Isère et neurologue au CHU de Grenoble.
Ce lundi (16 mars), le député va ainsi déposer deux amendements au projet de loi santé de Marisol Touraine interdisant le recours aux mannequins trop maigres et l'apologie de l'anorexie. Interrogé par l'AFP, il a expliqué : "Il est intolérable que l'on puisse faire l'apologie de la dénutrition et que l'on puisse exploiter commercialement des personnes qui sont dans des situations mettant en danger leur santé".
Dans un premier temps, Olivier Véran souhaite interdire aux agences de mannequins de faire appel à des jeunes femmes diagnostiquées en état de dénutrition. Pour cela, il espère faire modifier le code du travail et imposer aux agences d'attester pour chaque mannequin d'un certificat médical prouvant que son IMC (indice de masse corporelle) entre dans une corpulence dite normale. Et si les agences ne respectent pas cette réglementation ? "Elles seront pénalement responsables. Avec des sanctions pouvant aller jusqu'à 75 000 euros d'amende et six mois d'emprisonnement", a-t-il expliqué au site de La Parisienne .
En ce qui concerne l'IMC, Olivier Véran indique que la valeur n'a pas encore été déterminée. Néanmoins, il a déjà une idée du chiffre en-dessous duquel les mannequins devraient se voir refuser le droit au travail. Il indique à La Parisienne : "En France, on considère que l'on est maigre si l'on a un IMC en dessous de 18,5. C'est ce seuil qui a été établi en Espagne pour interdire aux mannequins de défiler. En Italie, c'est également aux alentours de 18, c'est-à-dire 55 kg pour 1,75m, par exemple. Cela pourrait être la même chose en France. Pour l'Organisation mondiale de la santé, la dénutrition est sévère lorsqu'on est en dessous de 17, et en deçà de 16, c'est l'état de famine".
Il est vrai qu'en matière de lutte contre l'anorexie dans le milieu de la mode, la France a pris du retard. L'Espagne a ainsi été le premier pays a tiré la sonnette d'alarme en 2006 en interdisant l'accès aux podiums aux mannequins trop maigres. L'année suivante, c'est l'Italie qui a établi un "code éthique" imposant aux tops un contrôle médical pour s'assurer qu'elles ne souffraient d'aucun désordre alimentaire. L'Inde et l'Israël ont également pris des mesures .
Chez nous, il faut remonter à 2008 pour trouver un projet de loi condamnant l'incitation à l'anorexie. Déposé par la députée UMP des Bouches-du-Rhône, Valérie Boyer, et adopté par l'Assemblée nationale, le texte interdisait "le fait de provoquer une personne à rechercher une maigreur excessive en encourageant des restrictions alimentaires prolongées ayant pour effet de l'exposer à un danger de mort ou de compromettre directement sa santé". Les contrevenants risquaient 30 000 euros d'amende et 2 ans de prison. Néanmoins, le texte ne visait pas seulement le milieu du mannequinat et englobait tous les moyens de communication.
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Avec son second amendement, Olivier Véran se rapproche du projet de loi proposé par Valérie Boyer en 2008. Déposé conjointement avec la délégation aux droits des femmes, ce dernier créerait notamment "un délit de valorisation de maigreur excessive". En d'autres termes, le député PS souhaite punir tous ceux qui feraient l'apologie de l'anorexie. Comme il l'a indiqué à La Parisienne, les sites internet pro-ana et les plateformes Tumblr sur lesquelles les jeunes filles se donnent des conseils malsains pour obtenir un thigh gap parfait son clairement visés :
"Quelqu'un qui ferait l'apologie de l'anorexie mettant en danger les jeunes femmes pourrait être responsable devant la loi et poursuivi. Cela concerne notamment les sites Internet pro-ana qui encouragent les adolescentes à manger toujours moins et qui expliquent que l'idéal féminin, c'est d'avoir l'écart le plus important entre les cuisses. Il faut protéger les jeunes femmes de ces pratiques dangereuses pour leur santé".
Il a également rappelé que le texte de Valérie Boyer n'avait malheureusement pas changé grand-chose : "En 2008, l'ex-ministre de la Santé Roselyne Bachelot avait signé une charte de bonnes pratiques mais sans engagements précis", et d'ajouter : "Il s'agit d'un problème de santé publique et il est temps d'agir".
Interrogée sur BFM TV, la ministre de la Santé, Marisol Touraine a annoncé qu'elle allait soutenir l'initiative d'Olivier Véran, ajoutant néanmoins qu'elle n'avait pas encore "expertisé" et "examiné" les propositions du député de l'Isère. "Je trouve que quand on est mannequin on doit s'alimenter et prendre soin de sa santé. C'est un message important en direction des jeunes femmes, des jeunes filles qui voient en ces mannequins des modèles esthétiques", a-t-elle déclaré.
Olivier Véran estime que "30 000 à 40 000 personnes en France souffrent d'anorexie, en majorité des adolescentes. L'impact de la mode sur ces jeunes filles a été démontré par de nombreuses études".
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