La pression se fait de plus en plus forte sur le concours Miss France. Avec la montée de la déconstruction féministe, du body positivisme et du ras le bol sur le jugement de nos corps, ce concours paraît de plus en plus arriéré.
Alors oui, comme le martelait encore Sylvie Tellier le 5 décembre sur Europe 1, "Miss France plaît à 8 millions de téléspectateurs". L'ex Miss France 2002 devenue directrice générale de la société Miss France, explique "respecter" les personnes opposées à cette cérémonie "qui trouvent que cela met en avant la femme d'une façon qui ne leur convient pas". Et de balayer d'un revers de la main : "On reste entre nous et on s'amuse".
Mais ce qui "plaît" et qui est populaire est-il forcément juste ? Loin de nous l'idée d'attaquer les candidates. Ce n'est pas le sujet. Ce qui gêne, c'est le concours en lui-même.
A élire celle dont on décide arbitrairement être la plus belle, selon des standards de beauté construits socialement, que cela soit dans les mensurations, la couleur de peau, le type de cheveux, l'âge, on reste effectivement entre-soi.
Mais on décide aussi quelle femme sera digne d'être bonne à marier en la cantonnant à son rôle d'objet beau et désirable. Que l'on parle de valeurs physiques ou morales. Sinon comment expliquer la popularité de ce genre de concours qui ne concerne jamais les hommes ?
Même après des remaniements, ce concours restera éternellement celui d'un classement de femmes. Les femmes passent leur vie entière, de leur naissance à leur mort, à être jugées sur leur apparence ou leur moralité.
Cette grande messe annuelle du jugement, durant laquelle 8 millions de Français·es vont comparer, soupeser, critiquer, des corps, des sourires, des seins, des fesses est archaïque et néfaste pour l'image des femmes.
Nous pouvons être une multitude de beautés. Nous avons aussi le droit de ne pas être belle. Nous avons le droit d'avoir un corps libre de toutes injonctions extérieures. Nous devons pouvoir être comme nous le souhaitons. Mais le concours Miss France fait partie de cette grande machine à broyer la confiance en elles des femmes.
Pour Sylvie Tellier, dans ce même entretien sur Europe1, au regard de son histoire personnelle, ce concours est un tremplin : "Je ne serais pas là si je n'avais pas fait Miss France. Je serais certainement à Lyon, dans un petit cabinet d'avocat, où je ne serais pas associée, car je viens d'une famille assez modeste"
La directrice générale du concours en est persuadée : "Je suis féministe dans l'âme et, au contraire, le concours est un sacré tremplin dans la vie [...] Il ouvre des portes à ces jeunes femmes, qui peuvent prendre la parole".
Les choses sont donc claires, ce concours représente une certaine beauté, mais pas toute les beautés. Que répondez-vous, Madame Tellier, à la femme grosse qui aura 15 fois de chance* de juste décrocher un entretien d'embauche parce qu'elle ne fait pas du 36 ? A la "moche" qui fait du 36 mais qui ne trouve pas de travail parce qu'elle ne correspond pas aux standards de beauté ? Et cette sortie rappelle une fois de plus qu'être mince est un privilège.
Devoir être belle pour réussir est tellement rétrograde. On doit pouvoir réussir, non par notre beauté ou par rapport au regard des autres, mais rapport à nos compétences. Avec cette sortie de Sylvie Tellier, que doivent comprendre les filles à l'école ?
Le body-shaming et le flicage que subissent les candidates
Comment comprendre ce féminisme quand on voit tourner des informations comme quoi la nourriture des candidates est contrôlée ?
Et la phrase d'un des "chaperons" des candidates en dit long sur ce qu'est encore le concours de Miss France et sur la beauté qu'il souhaite représenter. C'est une petite phrase d'Olivier Noël, assistant dans l'organisation depuis onze ans, repérée par 20 minutes qui nous le confirme : "Au début du mois de préparation, nous leur disons : 'Vous avez été élues avec un poids de forme, les gens doivent vous retrouver comme ça le soir du prime. On regarde leurs assiettes, mais on ne les flique pas. Si nous avons une réflexion à leur faire, c'est plutôt au buffet, avant qu'elles se servent."
La pression pour rester mince est forte, comme le raconte Iris Mittenaere, gagnante en 2016 dans son livre Toujours y croire, que cite Voici : "Il se murmure que des candidates auraient grossi, lors des précédents passages à Paris. Le restaurant de l'hôtel a dû avoir pour consigne de limiter les buffets. Conséquence, nous n'avons quasiment rien à manger : un petit bout de poisson avec quatre champignons."
Iris Mittenaere, qui est ensuite devenue Miss Univers, parle de "torture" : "C'est dur physiquement, mais ça l'est encore plus psychologiquement. Je me sens frustrée, comme 'empêchée'."
Sa mère raconte : "Pendant le mois de préparation, elle m'appelait souvent pour me demander ce que je préparais à manger à la maison. Le soir de l'élection de Miss France, juste avant de monter sur scène, elle m'a envoyé un SMS, disant : 'Vivement que tout ça se termine, et que je rentre à la maison manger de la terrine !'"
Cette course au corps parfait nous épuise. Miss France envoie du rêve, mais un rêve inatteignable et épuisant pour les candidates elles-mêmes qui doivent se restreindre pour l'atteindre. Ce body-shaming est loin de ce qu'on peut appeler du féminisme.
Alors malgré tous les changements opérés ces dernières années, le fait que Sylvie Tellier ait dépoussiéré la cérémonie, que le jury soit féminin (pour une partie de la sélection seulement), on assiste à du féminism washing en règle.
Les concours de femmes grosses, pourquoi pas. Mais on reste dans les mêmes démarches, nous et les autres, et un jugement permanent du corps des femmes et l'obligation de se fondre dans un moule en organisant des concours pour se sentir acceptée.
Cela n'est sûrement pas demain que cette grosse machine va disparaître. Parce qu'il y a de gros enjeux économiques et qu'il est sans doute difficile de faire comprendre à tout le monde les effets néfastes de cette compétition.
Mais nous devons sans cesse rappeler qu'une femme peut s'accomplir être élue la meilleure grâce à autre chose que son corps et sa plastique.
On peut vouloir être belle. Chacune est libre de vouloir se sentir désirable et désirée. Mais ce concours se fait aussi à travers le regard des autres. Les miss souffrent pour plaire aux millions de téléspectateurs. Et elles renvoient à une fausse représentation de ce que sont les Françaises qu'elles souhaitent pourtant incarner.
* Etude du sociologue Jean-François Amadieu cité dans le livre "Gros" n'est pas un gros mot de Daria Marx et Eva Perez-Bello