Dites-le : gros, gros, gros, gros, gros. Plein de fois, sur tous les tons. Voilà, ça fait du bien. Parce que non, gros n'est pas un gros mot, mais un qualificatif. C'est l'une des choses qu'ont voulu démontrer Daria Marx et Eva Perez-Bello du collectif Gras Politique en publiant le 23 mai un livre qui décrit la grossophobie. Dans Gros n'est pas un gros mot, elles décrivent ce qu'est la vie de près de 20 % de la population française et démontent tout un tas de préjugés qui fondent la grossophobie. "On voudrait que les gens comprennent qu'il y a un côté systématique de cette discrimination et que l'Etat y a un rôle", explique Daria Marx.
Gras Politique existe depuis deux ans. Flammarion est venu chercher les deux autrices parce qu'il existe très peu de livre sur les gros. "A part le livre de Gabrielle Deydier [On ne naît pas grosse], il n'y a pas de livres sur le sujet, pas de littérature, pas d'étude ni de théorisation. Alors qu'aux États-Unis par exemple, il y a des fat studies", explique Daria Marx.
Si on vous répète à longueur de journée que vous avez un grand nez, du matin au réveil, jusqu'à votre coucher le soir, vous allez forcément développer un mal-être terrible à propos de votre nez. Pour les personnes grosses, c'est exactement la même chose. On leur répète à longueur de journée ou on leur fait comprendre, dans leur famille, dans les transports, à l'hosto, dans la rue, en ne le embauchant pas... qu'elles sont grosses.
Alors première chose, non, être gros n'est pas une maladie de la volonté. Comme le rappellent Daria Marx et Eva Perez-Bello, les gros font constamment des efforts pour entrer dans le cadre auquel on les contraint. Avec des régimes souvent qu'on leur impose ou qu'ils s'imposent parfois depuis leur enfance. "Un obèse est forcément un glouton accro aux hamburgers. [...] peut-être qu'il leur est impossible de ne pas manger jusqu'à la douleur. Mais cette pulsion incontrôlable s'appelle un trouble du comportement alimentaire, et c'est une maladie reconnue. La seule volonté ne suffit pas à guérir d'une maladie. Sinon les entreprises de pharmacologie auraient de très mauvais jours devant elles."
Dans son livre On ne naît pas grosse, Gabrielle Deydier compare les injonctions à maigrir faite à une personne grosse à celles d'arrêter la cigarette. "Sauf que c'est encore pire, on est obligé de manger ! Et plutôt que de s'intéresser à ce qu'on mange on devrait demander "pourquoi tu manges mal ?", réagit Daria Marx. Et non, être gros n'est pas un plaisir : "De même que personne ne souhaite attraper la grippe ou développer un cancer, personne ne désire être gros. Qui voudrait être l'objet de moquerie, de harcèlement, la victime de discrimination ?"
Les discriminations justement, elles les décrivent, parce qu'elles se cachent dans toutes les interstices de la vie. Parmi les plus graves, celles qui interviennent dans le milieu médical. "Elle empêche les gros d'aller chez le médecin. Le matériel est mal adapté, les diagnostics sont mal faits. Les médecins n'ont pas l'habitude de parler et de mobiliser les corps obèses", explique Daria Marx. En somme, la grossophobie est dangereuse pour la santé. "La grossophobie médicale, c'est terrible. On vient avec une douleur et on repart avec la douleur supplémentaire" d'avoir été mal écouté.
Dans le livre se succèdent les exemples : une personne grosse entre chez un spécialiste pour un problème de peau et en ressort avec des conseils pour de la chirurgie bariatrique. Avec les gro·sse·s, la terre entière s'improvise spécialiste. "Votre corps ne vous appartient plus, sous couvert de sollicitude. On est au courant qu'on est gros, on a pas besoin de nous le rappeler", se désespère Daria Marx.
Et non, la chirurgie n'est pas une solution miracle. Si on a l'habitude d'être abreuvé·e d'émissions d'amaigrissements spectaculaires, l'ouvrage nous apprend une chose qui pourtant semble évidente : si on ne résout pas le problème à la racine, la chirurgie va à l'échec. "On opère beaucoup des estomacs et pas des personnes. On ne fait pas attention au côté multifactorielle de l'obésité."
"Et la grossophobie rend gros !", ajoute Daria Marx. Les autrices reviennent sur le fait que tout se joue souvent durant l'enfance. "Dire à un enfant par exemple "Attention tu vas être gros", c'est traumatisant. Soyez bienveillants." Plus on discrimine une personne grosse et plus elle se sent mal et va développer de troubles alimentaires par exemple. Dans l'entourage, si de façon obsessionnelle, on commence à fliquer le comportement de son enfant, on va créer un traumatisme lié à la nourriture et cela n'ira que de mal en pis.
Sur le front de la grossophobie, les choses n'avancent pas très vite selon l'autrice. "Il y a un investissement de la Mairie de Paris. On parle aussi à d'autre assos Queer et LGBT. Mais le féminisme lambda, ça ne les intéresse pas. On dit PMA pour toutes ! Mais aussi pour les grosses." On apprend dans le livre que certaines femmes se font refuser l'accès à la PMA au seul prétexte de leur poids.
Le collectif Gras Politique est souvent accusé de façon malveillante de faire la promotion de l'obésité sur les réseaux sociaux. "Les gens sont dans le cliché. Ils ne comprennent pas qu'on ait l'audace de se montrer grosses et vivantes. A la télé, il est toujours question des gros au travers de l'amaigrissement ou de l'humour, mais il n'y a jamais de gros autrement. Les gens ne font pas la différence et ne comprennent pas que ce que l'on subit, c'est une oppression". Les membres de Gras Politique qui militent en ligne sont souvent attaqué·e·s de manière gratuite et violente. Ces remarque désobligeantes ne sont que le reflet de cette ostracisation.
Le mouvement body positive ? Pas franchement la tasse de thé de Gras Politique. "On retrouve des corps normés, en sablier. Nous on dit : 'peut-être que mon corps n'est pas super, il y a des jours où il bien, des jours où il est moins bien, mais dans le body positive, il y a une injonction au bonheur et à aimer son corps. Il y a aussi un côté sexualisation. On est obligé de se mettre à poil pour être body positive." Daria Marx lui préfère le concept de body neutral, soit d'être juste à l'aise avec son corps.
Le mot grossophobie est entré dans le dictionnaire dans la dernière fournée du Robert. Une reconnaissance pour Daria Marx : "La première fois que ce mot est apparu, c'était en 1984. C'est un mot avec lequel j'ai grandi. Qu'il soit entré dans le dictionnaire, ça veut dire beaucoup. On ne pourra plus nous répondre qu'on s'invente des discriminations".
Faut-il offrir ce livre à toute votre famille si vous êtes une personne grosse ? "Notre livre est un bon moyen d'ouvrir une discussion, en mode : "Lis le bouquin, tu verras que c'est plus compliqué". Vous savez ce qu'il vous reste à faire pour la Fête des mères, des pères et Noël.
"Gros n'est pas un gros mot", Librio, éditions Flammarion, 121 pages, 5€