Les femmes sont-elles des yaourts ? Comme ces spécialités laitières, sont-elles dotées d'une date de péremption qui se situerait autour de la ménopause ? Non. Si vous en doutiez encore, il y a une vie après cinquante ans. 27 % de la population adulte sont des femmes de plus de 50 ans et elles sont 51 % parmi les femmes majeures.
Alors où sont-elles ? Certainement pas sur nos écrans. Selon un comptage précis de l'association des Actrices et Acteurs de France Associés (AAFA) effectué sur tous les films sortis en France, en 2015, elles n'avaient que 8 % des rôles, en 2016 c'est encore pire avec 6 %. Et encore, il y a dans ce pourcentage des arbres qui cachent la forêt. Il y a les têtes d'affiches, comme Isabelle Huppert, Juliette Binoche ou Karin Viard.
Comme nous l'explique la comédienne Blandine Métayer, membre de la commission "Tunnel de la comédienne de cinquante ans" à l'AAFA, "à cinquante ans, on développe un super pouvoir, l'invisibilité !"
Pour alerter sur cette situation, l'AAFA, a lancé une pétition en avril pour appeler les profesionnel·le·s du cinéma et les pouvoirs publics à s'emparer du sujet.
"Les rôles que l'on donne aux femmes sont toujours par rapport à un homme. La femme représente l'amante, la mère ou la grand-mère. À partir du moment où on n'est plus reproductive on disparaît", explique Blandine Métayer. Elle s'interroge : "Où sont les femmes manageuses qui ont la quarantaine à l'écran ? Je rencontre plein de femmes qui sont en pleine activité. On ne les voit pas dans la fiction. Ou si : quand elles se sont faites larguer... Ça fait presque XIXe siècle."
Pour rire et faire de la pédagogie sur l'égalité en entreprise, elle-même a monté un spectacle qui parle de la vie des femmes dans le monde du travail, Je suis top.
L'absence de modèle et de représentation des femmes de plus de 50 ans empêchent les jeunes femmes de se projeter, déclare Blandine Méteyer. "Et ça, c'est grave, c'est aberrant. On en rencontre des femmes qui bougent, qui sont passionnantes. L'espérance de vie augmente. A 50 ans, on est à peine à la moitié de sa vie mais on est au placard, au rebut."
Elle s'amuse alors qu'on nous fasse comprendre que "18-30 ans, c'est la seule période valable dans la vie d'une femme. Imaginez Jeanne Calment : elle a dû passer 110 autres années à s'embêter ! Le corps des femmes a changé aussi mais on ne voit que des actrices qui font du 36, c'est un problème. On est habitué à voir que rien ne bouge, en tant que femme, on essaie de coller un maximum aux injonctions : il faut dire stop !"
Blandine Métayer a elle-même été confrontée au tunnel de la comédienne de 50 ans. "On ne me le dit pas ouvertement. Le pire, c'est qu'on n'est même pas appelée sur les castings, on n'existe pas." Il faut aussi se poser la question du type de rôles que les actrices occupent. La pétition demande une plus grande mixité et que l'attribution du rôle à un homme ou à une femme ne soit pas forcément spécifiée dans le scénario. On peut prendre l'exemple des médecins ou des avocates qui sont des professions très féminisées, mais qu'on ne retrouve pas toujours à l'écran.
C'est aussi ce que demande le collectif de femmes qui a écrit le livre Noire n'est pas mon métier, pour avoir des rôles plus diversifiés. Que peut importe sa couleur de peau on puisse être embauchée pour n'importe quel rôle. Blandine Métayer note : "Les luttes se rejoignent, nous nous parlons et nous sommes solidaires".
Les hommes peuvent se sortir de la case "jeune premier" avec moins d'encombres. "Il y a pas mal d'hommes de plus de 50 ans avec des filles de 35 ans alors que ça n'est même pas précisé dans le scénario. Par contre, si c'est le contraire, ça va être le sujet du film ! Les rôles d'hommes vont être autour du métier, d'une passion, d'une grande cause, mais les femmes elles, sont toujours rattachées aux hommes", détaille la comédienne.
La pétition de l'AAFA demande d'ailleurs que la différence d'âge entre les acteurs soit plus mesurée et soit "plus proche de la réalité (2 ans dans les couples français selon l'INSEE) lorsque cela ne change pas le sens de l'histoire. La pétition demande également "la vraisemblance entre l'âge des rôles féminins de plus de 50 ans et celui des actrices choisies pour les interpréter."
Dans les solutions concrètes, on trouve les quotas. "Dans le service public, ça pourrait se faire. Cela peut aussi interpeller les chaînes privées. [...] Quand on voit le succès du Capitaine Marleau, série qui fait des records d'audience sur France 3, on a des questions à se poser. Pourquoi ce genre de personnage passionne les gens ?" pointe Blandine Métayer. Dans son manifeste, l'AAFA interpelle le CSA et les collèges qui attribuent les aides à l'écriture et à la production au Centre national du cinéma (CNC) pour qu'ils incluent ces recommandations dans leur lutte contre les discriminations et le respect des droits des femmes. L'AAFA plaide aussi pour que le CNC inclue dans ses rapports des statistiques sur l'âge des acteurs et des actrices.
La commission du tunnel de la comédienne de 50 ans a déjà rencontré les conseiller·ère·s de Marlène Schiappa, Secrétaire d'Etat à l'égalité femmes & hommes, et de Françoise Nyssen, ministre de la Culture. Beaucoup de personnes de la profession ont aussi signé la pétition, des scénaristes, des producteur·rice·s, des distributeurs et des spectateurs et des spectatrices. "On sent un frémissement", explique Blandine Métayer. Avec leur poids dans la société, les femmes de plus de 50 ans sont aussi un marché. C'est peut-être une des pistes qui doit alerter le cinéma qui fait rêver, mais qui est aussi ... une industrie.