On connaît ce chiffre symbolique : seulement une femme, la réalisatrice Jane Campion, a reçu une palme d'or à Cannes de la meilleure réalisatrice. Tonie Marshall est la seule femme à avoir reçu un César dans cette même catégorie.
Au début de la grande course pour être réalisateur·trice·s, il y a l'école où l'on compte 55 % de femmes en 2016 en France. Mais ça n'est que le début du marathon où plus les années passent et plus on assiste a un "processus d'évaporation" comme le décrit le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) dans un rapport publié début 2018. Au fur et à mesure des années "elles deviennent moins actives, moins payées, moins aidées, moins programmées, moins récompensées et enfin moins en situation de responsabilité que leur homologues".
L'argent est le nerf de la guerre. Or, 72 % des avances sur recettes du Centre national du cinéma (CNC) vont à des projets menés par des hommes. Ils captent également 85 % des fonds européens.
Le budget moyen d'un long métrage réalisé par une femme est de 3,5 millions d'euros contre 4,7 millions d'euros par un homme. En ce qui concerne la rémunération, les réalisatrices sont payées 42 % de moins que les réalisateurs, soit moins 38 % pour les productrices. Un rapport du CNC note quand même qu'en dix ans "le budget moyen des films d'initiative française réalisés par des femmes a augmenté de 9,7 % tandis qu'il a baissé de 18,8 % pour les hommes".
Pour ce qui est des métiers derrière la caméra, ils sont extrêmement genrés. On compte par exemple 88 % de costumières et 74 % de coiffeuses. Mais, même quand elles sont majoritaires, elles touchent toujours un salaire inférieur aux hommes de respectivement 10 % et 13 %. Il n'y a que 4,3 % d'électriciennes ou 4,4 % de machinistes.
Concernant la diffusion, seul 21 % des films ayant reçu l'agrément du CNC étaient l'oeuvre de réalisatrices en 2015. On revient quand même de loin. Ce chiffre est en augmentation de 80 % depuis 2006. À la télévision, ils sont moins de 10 % programmés en 2011 et 2012.
Face à ce constat, un collectif de professionnel·le·s du cinéma avait signé une tribune dans le Monde en mars se prononçant pour la mise en place de quotas, "le talent n'est pas qu'un don reçu au berceau, mais également le fruit d'une éducation et d'une construction sociale dans lesquelles les femmes restent encore désavantagées par rapport aux hommes. 60 % des effectifs sortant de l'École nationale supérieure des métiers de l'image et du son (Femis) sont des femmes et seulement 21 % des films de femmes ont été agréés par le CNC : doit-on parler de talent ? Ou de discrimination à l'embauche ?" La ministre de la culture Françoise Nyssen s'y est montrée favorable et les quotas font aussi partie des recommandations du HCE pour plus d'égalité dans le monde de la culture.
Il est aussi difficile de se faire une place dans les autres pays. En Europe, les chiffres sont encore moins édifiants qu'en France. On compte 19,5 % de réalisatrices en Allemagne entre 2011 et 2015, 11,6 % en Espagne, 11,5 % en Grande-Bretagne et 10,2 % en Italie. C'est encore pire aux États-Unis, vitrine mondiale du cinéma.
Hollywood a beaucoup de mal à donner les rênes de ses blockbusters à des femmes. Oui, il y a eu Wonder Women réalisé par Patty Jenkins en 2017. Mais c'est l'arbre qui cache la forêt. Ses collègues féminines ne sont que 10 %. Kathryn Bigelow est la seule femme a avoir remporté un oscar du ou de la meilleure réalisatrice en 2010 pour Démineurs, catégorie où cinq femmes ont figuré parmi les nommé·e·s depuis.... 1928.
L'association Women in Film révèle que sur les 1300 plus gros budgets du cinéma américain des cinq dernières années, le nombre de réalisatrices est de 4,3 % ! Les différences de salaires sont aussi parfois exponentielles entre acteurs et actrices. Pour Tout l'argent du monde, Michelle Williams n'a touché que 80$ par jour et Mark Wahlberg 1,5 millions de dollars pour retourner des scènes du film. Un film qui porte mal son nom !
Les femmes n'ont que 17 % des premiers rôles. Et dans un pays qui représente 80 % de l'industrie culturelle mondiale, la représentation qui est faite des femmes a de lourdes conséquences. Or la statisticienne Amber Thomas a relevé que les rôles de femmes n'ont que 27 % du temps de parole. Si on prend l'exemple très parlant de Rogue One de la saga Star Wars, l'héroïne féminine Jyn a été un atout marketing féministe pour vendre le film. Amber Thomas note : "quand votre photo est largement plus grosse que n'importe qui sur l'affiche, vous êtes sûrement le personnage principal. Ce que je n'avais pas remarqué en premier, c'est que Jyn est la seule femme sur ce poster".
Amber Thomas a calculé très précisément : les personnages féminins ne représentent que 9 % et 17 % des dialogues. De manière générale, une étude d'ONU Femmes montre que sur 120 films populaires dans dix pays, seul un tiers des personnages sont féminins et 17 % ont un travail contre 67 % dans la vie réelle. Sans compter le jeunisme qui empêche les actrices de s'imposer après 40 ans.
Pourtant, comme on l'a vu avec Wonder Women ou Black Panther, les films réalisés par des personnes qui ne sont pas blanches et de sexe masculin fonctionnent. L'image non bancable des réalisateur·rice·s noir·e·s ou des femmes commence à changer. En France, le prix Alice Guy qui récompense le travail de réalisatrices a été créé cette année. Pour être visibles donc, les femmes dans le cinéma ne doivent pas seulement monter les marches, elles doivent être montrées, programmées et financées.