C'est ce mardi 8 mai que s'est ouvert la 71e édition du Festival de Cannes, avec la traditionnelle montée des marches qui l'accompagne. Plus de 6 mois après la déferlante de témoignages symbolisée par les hashtags #Balancetonporc et #MeToo, Harvey Weinstein est le grand absent du Festival. Et pour cause : accusé de viol, de harcèlement sexuel et d'agression par une centaine d'actrices le producteur américain de Miramax est passé du statut de magnat du cinéma à celui de véritable paria.
Pour la première fois depuis des décennies, Harvey Weinstein ne dirigera donc pas le marché du film cannois, ne défilera pas sur le célèbre tapis rouge et sera privé des somptueuses et luxueuses soirées qui ponctuent l'événement. De même qu'il ne séjournera certainement plus à l'Hôtel du Cap-Eden-Roc, palace situé à deux pas du Palais des Congrès, où se déroule le Festival de Cannes.
Le directeur artistique du festival Thierry Frémaux a lui-même affirmé que "le Festival de Cannes ne sera plus jamais le même". Pour preuve : dès leur arrivée, les invités se sont vus remettre des cartons un peu spéciaux sur lesquels était mentionné "Comportement correct exigé. Ne gâchons pas la fête, stop au harcèlement". Au dos du carton, un numéro vert est indiqué. Il correspond à la ligne téléphonique d'urgence mise en place pour permettre aux victimes ou aux témoins de signaler les agresseurs.
Ces mesures font écho à l'annonce de la secrétaire d'État chargée de l'égalité hommes-femmes Marlène Shiappa, qui avait présenté en mars dernier la campagne de prévention contre le harcèlement sexuel intitulée "Comportement correct exigé" et réalisée en partenariat avec le Festival de Cannes.
"Le fait que les responsables du festival aient décidé de combattre avec nous le harcèlement sexuel, pas juste pour les actrices, mais aussi pour les employées et les spectatrices du festival, est une grande avancée sans précédent", avait salué la secrétaire d'État.
Et bien sûr, il y a Cate Blanchett, actrice australienne couronnée de deux Oscars qui préside le jury de cette 71e édition. Féministe, engagée contre le harcèlement sexuel, Cate Blanchett est seulement la 12e femme à accéder à cette prestigieuse fonction.
Le jury sera d'ailleurs, et pour la première fois majoritairement féminin puisqu'il compte 5 femmes (Ava DuVernay, Cate Blanchett, Kristen Stewart, Léa Seydoux, Khadja Nin) et 4 hommes (Chang Chen, Robert Guédiguian, Denis Villeneuve, Andreï Zviaguintsev). D'autres événements sont prévus pendant le festival, notamment une montée des marches 100% féminine le samedi 12 mai.
L'actrice Aïssa Maïga, à l'initiative du livre-tribune Noire n'est pas mon métier -récemment publié aux Éditions du Seuil- viendra également monter les marches le 16 mai avec les 15 autres actrices signataires du livre, pour dénoncer les discriminations subies par les femmes noires dans le monde du cinéma.
De belles avancées, qui donnent à priori raison à Thierry Frémaux lorsqu'il affirme que le Festival de Cannes est en train de connaître un nouveau souffle. Peut-on pour autant affirmer que l'un des plus grands événements du monde consacrés au cinéma est désormais résolument féministe ? Pas vraiment.
Car à y regarder de plus près, la parité laisse à désirer. Certes, le jury est majoritairement féminin. Mais dans les films en compétition figurent seulement 3 réalisatrices (la Française Eva Husson, la Libanaise Nadine Labaki et l'Italienne Alice Rohrwacher) sur 21 films sélectionnés. En l'espace de 70 ans, seule une femme- la réalisatrice néo-zélandaise Jane Campion- a remporté la Palme d'Or pour le film La leçon de piano, en 1993.
Autre point qui fâche : sur le site du festival, dans la catégorie "les événements", on distingue 4 masterclass avec des grandes personnalités du cinéma telles que John Travolta et Christopher Nolan. Problème : on n'y trouve aucune femme.
Il faudra donc probablement encore attendre quelques années pour affirmer que le Festival de Cannes s'est (enfin) débarrassé de sa réputation sexiste qui semble décidément lui coller à la peau..