"De la m*rde", "un naufrage", "une grosse bouse wokiste", "un fiasco"...
Sur Twitter, noms d'oiseaux et avis furibards s'accumulent à l'encontre d'un film sorti ce 22 janvier : Toutes pour unes. Ce projet ambitieux auréolé d'un quatuor fantastique d'actrices (Sabrina Ouazani, Daphné Patakia, Oulaya Amamra, Déborah Lukumuena) est une relecture féministe des Trois mousquetaires, où des protagonistes féminines se griment en hommes dans un imaginaire de cape et d'épée bien connu des férus d'Alexandre Dumas. Lequel après le triomphe du Comte de Monte Cristo n'a semble-t-il jamais paru aussi actuel et indémodable.
Oui mais voilà, l'engouement est peu comparable à celui que suscite le blockbuster estampillé Pierre Niney - qui a droit à une flopée de nominations aux César (cérémonie snobant au passage les femmes cinéastes). Echec au box office (9407 entrées en cinq jours), Toutes pour une est malmené par la critique - on doit pourtant cette fresque aventureuse à l'excellente Houda Benyamina, autrice de Divines, film coup de poing salué à Cannes en son temps - et surtout, par une certaine frange des internautes... Plantant au bûcher un film sans l'avoir vu.
Mais en se contenant de fustiger son... "Wokisme". Comprendre : son féminisme...
Un acharnement subtilement sexiste (non) qui a même poussé Allociné à agir.
Car ces posts virulents, à charge, critiquant moins le film que ses intentions, et son concept, à grands coups de saillies qu'on croirait tout droit sorties d'un plateau de Pascal Praud, se sont aussi déployés sur la célèbre plateforme de notations. Avec des critiques non seulement anormalement abondantes, mais très, très virulentes, voire insultantes.
Tant et si bien que le site a effectivement enlevé la note moyenne des spectateurs sur la fiche correspondant au film. "La répartition des notes spectateurs sur ce film est inhabituelle", peut-on lire dans l'article détaillant cette décision exceptionnelle, relevant en outre "un afflux anormalement élevé de notes extrêmes". Et parmi elles, les plus basses... 0,5/5. "Plus de la majorité de ces notes, dès la sortie du film le mercredi, étaient égales à 0,5. La machine s’est emballée… Donc on a décidé de suspendre la note spectateurs", lit-on encore dans cet article du Parisien.
Et nos confrères d'Allociné de préciser pour clarifier la situation : "Cette manipulation des notes semble, en partie, s'organiser sur le réseau social X et dépasse le cadre du film et ses qualités intrinsèques. AlloCiné fait preuve d'une grande vigilance quant à son système de notation et s'engage à ce qu'il soit le plus juste possible, sans manipulation malveillante. AlloCiné rappelle, avant tout, qu'un film doit être vu avant d'être noté et critiqué par le spectateur ou la spectatrice. Il en va du respect des équipes du film et de la mission de notre site internet"
Difficile dès lors de ne pas comprendre l'ampleur de réactions très politiques et peu objectives, à l'encontre d'un film dont la cinéaste est ouvertement féministe, mettant en scène des actrices racisées. Bien des arguments pour énerver racistes et sexistes. Mais le "cas Toutes pour unes" n'est en vérité, malheureusement, pas exceptionnel dans le paysage culturel.
Ce que subit Toutes pour une, son casting féminin, et sa réalisatrice, porte un nom : le review bombing.
Méthode de manipulation critique ciblée bien connue des férus de jeux vidéo et de films, tant le phénomène est prisé au sein de ces communautés, et pas parmi les voix les plus bienveillantes. Le review bombing, c'est le fait de poster massivement des avis, le plus souvent négatifs, à l'encontre d'une oeuvre, afin d'influer sur le succès de cette oeuvre, sa réputation en ligne, son éventuelle popularité, par pur désaccord, généralement, avec ce que cette oeuvre propose.
Et en 2025, cela peut totalement bousculer le destin d'une création artistique.
Un épisode du podcast d'Ecran Large en parle d'ailleurs très bien : "Les fandoms toxiques : comprendre cette pop-culture de la haine". Ou comment des communautés de fans, ou plus globalement d'internautes aux opinions arrêtées et peu constructives, peuvent aller jusqu'à bouleverser la nature de productions culturelles à travers ce "review bombing" qui prend volontiers la forme d'une intimidation collective en ligne. Organisée, ciblée, et si virulente que sa nature ne suscite guère d'ambiguïté. Comme une forme de bataille politique.
Un déplorable cyber harcèlement mâtiné de misogynie.