En 2024, Justine Triet remportait le précieux sésame : un César de la meilleure réalisation pour Anatomie d'une chute, succès critique et populaire déjà auréolé d'une prestigieuse Palme d'or quelques mois plus tôt. Un triomphe indéniable pour une oeuvre destinée à durer. On a dédié une analyse à son très trouble female gaze d'ailleurs.
Oui mais voilà, un an plus tard, c'est vraisemblablement le retour de bâton, ou comme l'énoncent les essayistes féministes depuis les années 80 : le "backlash". Vous savez, ce terme - léger historique ici - qui désigne les régressions paradoxalement engendrées en réaction aux grands bouleversements féministes. En gros : quand les combats pour l'égalité des sexes se font plus sonores, le pouvoir patriarcal ne se laisse pas faire. Le cas d'Adèle Haenel, puisqu'il est question des César, est très éloquent à ce titre...
Et en 2025 donc, alors que la liste des nominations aux César vient de tomber, cruel constat : aucune femme cinéaste n'est nommée dans la catégorie Meilleure réalisation. Aucune femme cinéaste dans la catégorie Meilleur film, non plus. Indéniablement, les deux plus grosses catégories de l'événement culturel hexagonal. Pour trouver des femmes cinéastes, il faudra se tourner vers la catégorie des Premiers films, comme toujours, la plus inclusive, plurielle et éclectique.
Mais pourquoi réduire les réalisatrices à ce champ-là ?
Alors que les noms de la meilleure Réalisation sont exclusivement masculins - Gilles Lellouche pour L'amour ouf, Jacques Audiard pour Emilia Perez, le doublon Alexandre de La Patellière, Matthieu Delaporte pour Le comte de Monte Cristo - on est clairement en droit de s'interroger...
L'académie des César a-t-elle décidé de snober les femmes cinéastes après le triomphe de Justine Triet l'an dernier ?
On se pose sérieusement la question. Car les réalisatrices, ça ne manque pas. Comme l'excellente Louise Courvoisier, dont le premier film, Vingt Dieux, a certes droit à quelques nominations (concernant ses interprètes notamment)... Mais sa cinéaste se voit exclue de la catégorie Réalisation. Le schéma est clairement identique pour une autre cinéaste, Agathe Riedinger, à qui l'on doit le passionnant Diamant Brut, snobée de la catégorie de la mise en scène, mais dont l'interprète, et révélation, Malou Khebizi, pourrait cependant repartir avec un César, elle (on l'espère).
Deux points de vue sur des sujets trop peu abordés, d'un côté, dans Vingt Dieux, celui de la jeunesse rurale, perçue sans préjugés, sans clichés, avec un optimisme rare, et de l'autre, dans Diamant Brut, celui de la téléréalité, et plus précisément, des jeunes femmes proto-influenceuses rêvant de "percer" et de vivre pour les caméras. Dans ces deux films, une profonde sensibilité et une indéniable justesse formelle.
Et puis par-delà ces réalisatrices découvertes du grand public l'an passé, on pense forcément à des noms plus familiers, comme Laetitia Dosch : une réalisatrice déjà confirmée, actrice reconnue (lumineuse dans Le roman de Jim, dont l'on espère le triomphe de la star, Karim Leklou, nommé au César du meilleur acteur), qui méritait largement une nomination pour son ovni, Le Procès du chien. Film de procès délicatement tragicomique et dingue qui passe au crible moult enjeux féministes sous couvert de discours sur la condition animale.
Et on pourrait poursuivre longtemps l'énumération.
La regrettée Sophie Filières, qui a confié à Agnès Jaoui la plus complexe des partitions de comédienne de l'an passé, dans son très autobio Ma vie, ma gueule. Pas la moindre nomination pour ce vertigineux exercice de style. Ou Delphine Girard à qui l'on doit Quitter la nuit, un portrait de femmes mâtiné de thriller abordant frontalement le thème des violences sexuelles, résonnant avec les grands combats de notre société post-#MeToo.
Des enjeux de société, on en trouve une flopée, mais évoqués subtilement, dans l'étonnant Fario de Lucie Prost, réalisatrice qui par-delà son traitement de la cause écologiste et des enjeux environnementaux, dédie son regard aux nouvelles masculinités et au mythe de la virilité. A travers l'intense Finnegan Oldfield.
Où sont les femmes cinéastes aux César ?
En dehors, elles sont en vérité partout.