Un comédien qui se déguise en femme.
Vous avez tous reconnu Madame Doubtfire, film où un comédien de doublage, effectivement, se travestit en nounou british pour retrouver sa famille alors qu'il se trouve être en pleine instance de divorce, déployant dès lors sa nouvelle identité ni vu ni connu, au nez de son épouse. Pitch légèrement problématique, mais grand rôle pour le regretté Robin Williams...
Sauf qu'en vérité, c'est surtout là l'histoire initiale d'une œuvre hollywoodienne plus marquante encore qui la précède de plus d'une décennie : Tootsie, le film de Sydney Pollack qui a valu un Oscar à son légendaire interprète : Dustin Hoffman. L'une des grandes figures du Nouvel Hollywood, admirable chez Mike Nichols (Le lauréat), Arthur Penn, John Schlesinger, a trouvé là la partition majeure d'une carrière pourtant foisonnante.
Dans la peau de cet acteur qui va "devenir" une femme, Dustin Hoffman témoigne d'une sensibilité que les fans du Lauréat et de Macadam Cowboy lui connaissaient déjà. Dans une oeuvre qui envoie valser sexisme, banalisé au sein du monde du spectacle, rapports de pouvoir patriarcaux, préjugés machos divers... Avec une pincée de contre culture drag. Ce qui n'est jamais de trop.
Rôle marquant oui, tant et si bien d'ailleurs que son acteur n'a plus jamais été le même ensuite.
Car devenir une femme fut pour lui une épiphanie. Une vraie. Il raconte...
Dans Tootsie, où il côtoie Geena Davis, Dustin Hoffman se transforme en Dorothy.
Mais apparemment, le changement n'était pas que physique. Dans une vieille interview des années 90 qui se retrouve partagée aujourd'hui, l'acteur explique que son regard sur ses comparses féminines a changé du tout au tout ensuite. Pourquoi ? Car il s'est trouvé vraiment "moche" en se travestissant. "J'étais halluciné de constater qu'en femme, je n'étais vraiment pas plus attirant qu'en homme ! J'en ai fondu en larmes d'ailleurs !", s'indigne-t-il face à son intervieweur avec tantôt le plus grand des sérieux, tantôt une généreuse ironie mâtinée de rires sonores.
Et cela l'a fait cogiter. Il raconte encore...
C'est simple. Dustin Hoffman a compris, propos de maquilleurs à l'appui, qu'on l'avait simplement grimé en femme : en femme ordinaire, sans fioritures, sans métamorphose. "Et je me suis rendu compte en m'observant dans le miroir qu'une femme comme Dorothy, comme moi, je ne lui aurais jamais adressé la parole. Des femmes comme ça, j'en ai croisé plein en soirées..."
"Et j'ai ignoré des femmes comme ça, car je ne les trouvais pas suffisamment attirantes physiquement, suffisamment belles. Lors d'une soirée, je ne me serais jamais rencontré moi-même !", s'amuse le comédien, qui l'air de rien pointe du doigt une certaine idée du sexisme. A travers une vaste introspection qui a encore l'air de le chambouler bien après le tournage !
"Je suis passé à côté de tant de femmes intéressantes. J'ai réalisé ça. On m'a lavé le cerveau !"
Normes de beauté, injonctions à la féminité, mais surtout, machisme trop ordinaire, visible dans les rapports de séduction, les relations entre hommes et femmes... Autant d'éléments de réflexion qui vraisemblablement ont poursuivi "Dustin" bien après le tournage du classique de la comédie américaine.
Classique oui, mais qui subit aussi le poids du temps.
En tout cas, à en croire la critique, qui n'hésite pas 40 ans plus tard à interroger son discours et ses maladresses. C'est le cas de Xavier Leperheur, du Masque et la Plume, qui l'étrille ainsi : "je trouve le jeu et la manière dont il se féminise un peu lourdingue. Ça fait transformisme, cabaret de chez Michou. Et moi, je n'y crois pas. Il y a une espèce de lourdeur dans la manière dont il devient une femme. Une femme qui, en plus, va plaider pour la cause des femmes. En gros : il faut que les hommes fassent aussi le travail des femmes".
"C'est grâce à lui que la libération de la femme à l'intérieur du soap, et donc à l'intérieur du pays, va s'effectuer. Non, les femmes à l'époque savent déjà quand même très bien se défendre par elles-mêmes. Et je trouve que la deuxième partie du film, qui s'articule sur des quiproquos est un peu lourdaude. Et bizarrement, le charme a moins opéré qu'il y a quarante ans"