
Marie Trintignant a été assassinée par le chanteur Bertrand Cantat en 2003 dans une chambre d'hôtel de Vilnius.
A l'époque, les formulations abondent pour euphémiser ce que l'on appelle pas encore un féminicide : "crime passionnel", "crime d'amour", "il l'aimait tant qu'il l'a tuée"... "Il y a toujours une très bonne raison pour que le patriarcat phallocrate tue une femme. On a d'ailleurs entendu que Marie était hystérique, qu'elle avait bu, qu'elle l'avait poussé à bout en le rendant jaloux", décrypte 20 ans plus tard Lio dans les pages de Libé.
L'une des rares voix discordantes.

Car sur les plateaux, ce n'est pas forcément elle qu'on invite. Si le "clash" de la chanteuse avec Thierry Ardisson est d'autant plus redécouvert à l'aune du tout nouveau documentaire Netflix dédié à Bertrand Cantat (on vous en parle ici), "l'homme en noir" avait plus volontiers donné la parole...Au frère de Bertrand Cantat, dans son émission « Tout Le Monde En Parle » en 2004. Lequel n'avait pas hésité à sombrer dans le victim blaming : cette inversion des rapports entre victime et coupable.
Et cette séquence en particulier refait surface... Et scandalise.
Cette prise de parole de Xavier Cantat dérange 21 ans plus tard.

On le comprend, quand on l'écoute : "Personne ne se demande dans cette affaire : et si c'est elle (Marie Trintignant) qui s'était énervée la première ?", s'interroge Xavier Cantat. Avant de poursuivre : "On est entièrement d'accord que le fait que moins d'hommes meurent sous les coups de leur femme... Mais on parle de statistiques là"
"On parle de deux personnalités tourmentées qui ont vécu un amour fou. Je crois que c'est l'expression qui convient le mieux"
Thierry Ardisson opine du chef à chaque remarque. Et se permet même de préciser que Marie Trintignant avait une vie placée sous le signe "du désordre affectif, une existence bohème, c'était connu de tous. Il y a eu des querelles, un accident de voiture en état d'ivresse...". Une insistance certaine sur l'aspect "chaotique" du quotidien de l'actrice. L'animateur de citer ensuite son interlocuteur : "elle n'est pas devenue une sainte car elle est une victime".

Des paroles qu'on aurait du mal à imaginer aujourd'hui. La notion "d'amour fou" pour désigner un féminicide est hélas le parfait témoignage d'une autre "époque", où l'on pouvait glamouriser la mort d'une femme. Mona Chollet en parle longuement dans son essai de référence, Réinventer l'amour.
Alors que tous les regards se tournent vers les archives de De rockstar à tueur : le cas Cantat, cette interview apparait comme un cruel reflet de son époque - où l'image du chanteur de Noir Désir était volontiers romantisée, et défendue.

C'est ce que fustige aujourd'hui le média en ligne L'effrontée : "C'est une véritable tentative d’inversion de la culpabilité, alors que Marie Trintignant avait été littéralement battue à mort. L’autopsie a d’ailleurs confirmé qu’elle était décédée des coups d’une rare violence. Ardisson et Xavier Cantat vont passer de longues minutes à disséquer la vie de la victime pour montrer qu’elle n’était pas parfaite, qu’elle avait des défauts".
Lio toujours, à Libé : "On ne peut pas vivre si on ne s'écrase pas. Quand j'ai pris la parole, je n'ai reçu pratiquement aucun soutien, je suis tombée, j'ai tout perdu. On aime les femmes qui minaudent. On peut bafouer toutes les femmes du monde, les traîner dans la boue, les maltraiter... Cette misogynie, cette haine des femmes, est le nucléus de toutes les violences faites aux femmes, aux opprimés"
"Un salopard peut avoir du talent. Mais pas d'honneur pour les violeurs, les violents. Et à ceux qui disent qu'il a payé sa dette, je réponds : quatre ans de prison, c'est ce que vaut la vie d'une femme ?"