Le 13 octobre dernier, alors que l'on mesurait encore à peine la portée qu'allait avoir dans le monde l'affaire Harvey Weinstein, la journaliste Sandra Muller racontait le harcèlement sexuel qu'elle avait subi de la part d'un ancien patron de la chaîne Equidia et invitait les femmes à elles aussi donner "le nom et les détails" du harcèlement ou de l'agression qu'elles avaient connu dans leur boulot. Elle ne se doutait certainement pas que ce hashtag, #BalanceTonPorc, repris des milliers fois sur Twitter, servirait de principal canal à la libération de la parole des femmes.
Mais qu'ont justement raconté les femmes en utilisant #BalanceTonPorc ? Des cas de harcèlement, d'agression, de viol que Spella, un "datastitute" spécialisé dans la collecte de données sur Internet a analysé pour comprendre quelle réalité se cachait derrière le hashtag. Quel est le profil des agresseurs ? Quand et où agissent-ils ? Quelle partie du corps de la victime ont-ils touché ? Au total, plus de 70 000 posts publiés sur Twitter entre le 13 octobre et le 31 décembre 2017 ont été passés au crible pour répondre à ces questions. Il en ressort la conviction que les violences sexistes et sexuelles sont, hélas, présentes partout, de la rue au lieu de travail et que les harceleurs sexuels ont de multiples visages. Outre les chiffres mis en exergue ci-dessous, Spella a réalisé une infographie de son analyse de #BalanceTonPorc. Les résultats sont aussi édifiants que désespérants.
Parmi l'une des données analysées par Spella, porte sur la nature des agressions décrites par les femmes sur Twitter. Dans la majorité des cas (41%), les témoignages décrivent du harcèlement sexuel. 33% évoquent un viol et 26% des agressions sexuelles.
18% des femmes qui ont partagé leur vécu avec #BalanceTonPorc ont déclaré avoir subi des attouchements aux seins, 22% au niveau des jambes (cuisses ou genoux). Dans 60% des cas, ces contacts abusifs ont lieu au niveau des fesses ou du bas des reins sous la forme d'une main sur les fesses ou de caresses.
Spella dresse aussi le profil-type des agresseurs. Sans surprise, il s'agit non pas - comme l'inconscient collectif l'a longtemps suggéré - d'un inconnu croisé au détour d'une ruelle sombre, mais de connaissances des femmes qui décrivent les faits. 34% des "porcs" balancés entretiennent un lien hiérarchique direct avec les femmes qu'ils ont harcelées (patrons, managers). 25% sont des amis, 24% des professeurs, 17% des collègues. Parmi ces agresseurs, 7% de ceux qui ont fait l'objet d'un tweet sont mariés.
Autre stéréotype démonté par Spella : celle selon laquelle les cas d'agression et de harcèlement ont majoritairement lieu de nuit. En réalité, le soir n'est pas plus propice au harcèlement sexuel puisqu'il arrive ex aequo avec le jour (44% des agressions) ce qui peut s'expliquer par le fait d'un grand nombre de harcèlements sur le lieu de travail.
Le lieu de travail (26%), justement est, avec la rue (27% des cas) le principal lieu où les femmes subissent des agressions sexuelles ou se font harceler. Cela explique notamment pourquoi de nombreuses femmes évoquent des harcèlements quotidiens. Vient aussi le métro, qui concerne 12% des témoignages, les lieux d'éducation (collège, lycée, université) dans 9% des cas et les autres transports en commun (voiture, bus, train), également évoqués quoi qu'à moindre échelle.
De mi-octobre à fin décembre 2017, plus de 70 000 tweets ont été postés avec le hashtag #BalanceTonPorc. Spella note qu'au commencement de son étude, ces derniers concernaient surtout des témoignages (j'ai subi un harcèlement, une agression, un viol), "s'inscrivant dans un mouvement général de libération de la parole".
Au fur et à mesure que le débat a pris de l'ampleur et gagné la société, la teneur des tweets a cependant évolué "pour laisser plus de place à l'analyse et à la recherche de solutions pour éradiquer les problèmes liés au harcèlement des femmes", analyse Spella. D'après l'institut, 7% des tweets postés en décembre évoquent une recherche de solutions en décembre. L'une des clés évoquées pour en finir avec les violences sexistes et sexuelles et la perpétuation de la culture du viol ? L'éducation. Notamment celle des petits garçons à qui il est nécessaire d'apprendre à ne pas harceler plutôt que d'éduquer les filles à se protéger du harcèlement.