Il y a deux ans, Maxime Gaudet diffusait sur YouTube Au bout de la rue, un court-métrage bien troussé dans lequel il captait la peur qui tenaille une jeune femme rentrant de nuit seule chez elle après avoir passé la soirée avec des amis.
En un plan-séquence et un peu plus de trois minutes, le jeune réalisateur mettait le doigt sur ce que ressentent des millions de femmes lorsqu'elles empruntent une ruelle déserte ou mal éclairée passée 22 heures : la peur de se faire agresser. Il y était aussi question des techniques d'évitement et de dissimulation qu'elles adoptent alors pour se faire la plus petite possible, la plus invisible qui soit aux regards masculins : des écouteurs vissés sur les oreilles, même si on n'écoute pas de musique, le regard baissé, la démarche qui s'accélère.
"J'ai voulu être au plus près de mon personnage et je me suis dit que le meilleur moyen de me mettre dans la peau de quelqu'un, c'était de le faire en temps réel", nous expliquait alors Maxime Gaudet, à l'occasion de la diffusion d'Au bout de la rue.
Aujourd'hui, le cinéaste en herbe est de retour avec Bruits de couloir, un nouveau court-métrage qui s'attelle, une nouvelle fois, à saisir cette atmosphère étouffante de sexisme dans laquelle les femmes travaillent.
Toujours filmé en plan-séquence et rassemblant les mêmes acteurs, à commencer par la comédienne Claire Chust (Problemos, Guépardes), le court-métrage suit au plus près une jeune femme qui traverse un open space. De sa sortie de réunion au moment où elle entre dans l'ascenseur, il ne se passe même pas deux minutes. Mais cela suffit pour qu'elle se fasse harceler par un collègue et qu'elle assiste à une scène de misogynie ordinaire bien que complètement déplacée dans le milieu professionnel.
"Quand Au bout de la rue est sorti, j'ai eu pas mal de réflexions sur le fait que l'histoire se passait de nuit, que l'homme qui agresse la jeune fille était bourré, comme si ça minimisait ou excusait son comportement. Or, je pense que ce n'est pas le débat que ces violences peuvent arriver ailleurs. Certes, de manière moins frontales, mais quand même bien là. J'ai aussi assisté un jour à un échange vraiment pas cool dans un bureau entre une femme et un homme, ça a nourri ma réflexion. Je me suis dit que ce serait aussi bien de parler du harcèlement au travail. C'est aussi à ce moment-là que je me suis dit que serait bien de transposer parfaitement l'histoire : de jour, au bureau, dans un univers que l'on connaît, avec des gens que l'on connaît aussi, dans un environnement en apparence sûr."
"L'idée est de montrer que le harcèlement existe aussi bien la nuit que le jour, aussi bien avec des inconnus qu'avec des collègues, poursuit Maxime Gaudet. Ici, on ne peut pas avancer comme argument que l'homme qui la harcèle a trop bu."
Les deux situations – l'une de jour, avec des collègues, l'autre de nuit, avec des inconnus – se font d'ailleurs écho l'une l'autre. "Dans ce nouveau volet, je voulais aussi mettre en lumière de toutes ces situations où les filles ne sont pas harcelées directement, mais subissent des réflexions misogynes qui sont finalement 'agressantes'. C'est le cas ici, quand elle entend ce collègue parler super mal d'une autre femme. Ce n'est pas elle qui est visée, et pourtant c'est super violent."
Car dans la rue comme dans le foyer, les violences au travail peuvent prendre de multiples formes, du harcèlement à l'agression, allant même dans certains cas jusqu'au viol. Selon les chiffres du Défenseur des droits, 20% des femmes et des hommes interrogés ont aussi déclaré connaître au moins une personne ayant été victime de harcèlement sexuel au travail. Trois victimes sur dix n'ont pas osé parler de ce qu'elles ont vécu et plus de six victimes sur dix ont déclaré n'avoir pu compter que sur elles-mêmes pour faire face à leur situation. Car le harcèlement sexuel au travail est encore largement tu.
"Évidemment, on assiste à une prise de conscience ces derniers mois, notamment avec l'affaire Weinstein. Mais je pense que malgré ça, les hommes n'ont pas conscience de tout ce que peuvent subir leurs collègues féminines. On sait que ça existe, mais on n'en est pas forcément témoin, on n'a pas non plus forcément conscience de ce qui se trame dans l'open space. Si les femmes en parlent, j'espère évidemment qu'elles seront davantage prises au sérieux et considérées qu'il y a quelques années, mais je pense toujours que on n'imagine pas à quel point ça peut être présent. Ça reste tapi dans l'ombre, parce que la plupart du temps, quand ça arrive, ce n'est pas en public. Sans parler de la pression sociale qui dissuade les femmes de parler", analyse Maxime Gaudet.
Écrit cet été et tourné fin novembre – en plein pendant le tsunami #MeToo et #BalanceTonPorc – Bruits de couloir résonne tout particulièrement, alors des milliers de femmes ont osé raconter les violences qu'elles avaient subies, au travail ou ailleurs. "Je me souviens que la sortie de Au bout de la rue avait coïncidé avec l'affaire Baupin. À l'époque, on s'étonnait que le harcèlement et les agressions touchent aussi les sphères politiques. Deux ans plus tard, on se rend bien compte que ça peut survenir absolument partout."