Depuis une semaine, pas un jour ne passe sans qu'une nouvelle femme accuse Harvey Weinstein de harcèlement ou d'agressions sexuelles. Après les témoignages accablants de Rose McGowan, Asia Argento, Judith Godrèche, Angelina Jolie, Emma De Caunes et Gwyneth Paltrow, c'est au tour de Léa Seydoux et de Cara Delevingne de dénoncer publiquement le comportement inacceptable qu'a eu le producteur hollywoodien à leur égard.
Dans son témoignage publié mercredi 11 octobre sur le site du Guardian, la comédienne française Léa Seydoux raconte que Weinstein lui serait monté dessus pour la forcer à l'embrasser. Cara Delevingne a également dû repousser les avances appuyées du magnat, qui souhaitait organiser avec elle une partie à trois dans sa chambre d'hôtel.
Accablé par des accusations qui courent sur des décennies, Harvey Weinstein était pourtant considéré jusqu'à présent comme l'un des producteurs les plus puissants du cinéma américain. Comment donc ces actes honteux ont-ils pu rester secrets si longtemps ? Parce que personne n'a rien dit.
À Hollywood, le comportement de Harvey Weinstein à l'égard des femmes était un secret de polichinelle. Les acteurs Ben Affleck, Jennifer Lawrence et Meryl Streep ont beau dire ne jamais avoir eu connaissance des agissements du producteur, de nombreux témoignages affirment aujourd'hui le contraire. Ainsi, le réalisateur Jean-Pierre Jeunet a admis être au courant de la réputation sulfureuse de Weinstein. Il a pourtant choisi de se taire, malgré le fait que certaines actrices soient personnellement venues le voir pour se plaindre du comportement du producteur.
Et il y a une raison à cela, la même qui profite à de très nombreux harceleurs sexuels et les conforte dans leur impunité : la dynamique de pouvoir. Harvey Weinstein n'était pas n'importe quel producteur. Véritable nabab de Hollywood, il pouvait faire ou défaire une carrière en un claquement de doigt. C'est sans doute la raison pour laquelle tant de femmes agressées, harcelées, violées, n'ont pas osé parler.
Quant aux hommes, la raison de leur silence est très certainement à chercher dans le concept traditionnel même de masculinité d'où découle une forme de solidarité. En plus de craindre de se mettre à dos l'homme le plus influent du cinéma américain, tous ont respecté implicitement une sorte de "Bro Code" (code des frères, en français) qui a forgé l'impunité du producteur. "Une des choses que la culture américaine enseigne aux garçons à un jeune âge est qu'ils sont intrinsèquement supérieurs aux filles et aux femmes", explique au site Mic le Dr Andrew Smiler, un psychologue spécialisé dans les garçons, les hommes et la masculinité. "Les jeunes garçons sont fortement socialisés pour valoriser les filles et les femmes d'une manière problématique : en tant qu'objets sexuels ou symboles de statut social que les hommes utilisent pour signaler leur masculinité à d'autres hommes", poursuit le psychologue.
Tous ces facteurs conduisent à appliquer tacitement un code masculin toxique qui profite à ceux dont les comportements sont inacceptables.
C'est pour cette raison qu'il est primordial que les hommes offensés par les comportements sexistes de leurs confrères s'expriment et les condamnent publiquement. Car il n'est pas rare que les hommes eux-mêmes se sentent pris au piège dans ce concept de masculinité, avec lequel ils se sentent mal à l'aise. "Ce que je vois dans mes propres recherches, c'est que la plupart des hommes aiment les femmes et surestiment le sexisme dont font preuve les hommes", analyse le Dr Chris Kilmartin, professeur émérite de psychologie à l'Université de Mary Washington. "Les hommes offensés par le sexisme pensent souvent qu'ils sont minoritaires, mais souvent ce n'est pas le cas."
Pour étayer ses propos, le spécialiste donne l'exemple d'un étudiant en psychologie qui assistait à une soirée avec 12 amis et a émis tout haut son malaise à l'idée d'aller dans un club de strip-tease. À sa grande surprise, huit de ses amis ont avoué être d'accord avec lui. Le groupe a finalement décidé d'aller passer la soirée ailleurs.
"Lorsque vous identifiez des alliés masculins, ce genre de complicité de synthèse et de conformité diminue très fortement - même si vous êtes minoritaire. C'est une question de leadership d'une certaine façon: lorsque le premier intervient, il - et d'autres - réalise qu'il y a plus de soutien dans la salle que beaucoup ne le pensent", conclut Chris Kilmartin.