
Au cinéma, le regard d'une femme change-t-il tout ?
Quand on est comédien, en tout cas, cela fait toute la différence. C'est en tout cas ce qu'explique avec enthousiasme (mais le connaît-on autrement ?) un acteur qui s'exprime des plateaux aux planches depuis près d'un demi siècle : Fabrice Luchini. Le joyeux orateur a été dirigé par une réalisatrice, Barbara Schultz, sur son dernier film, Le secret de Khéops.
Chose rare dans sa carrière il faut le dire. Même si l'égérie masculine d'Eric Rohmer a déjà été filmé par des femmes cinéastes par le passé, surtout ces dernières années (Anne Fontaine, Anne Le Ny), le rapport n'est pas très équitable sur une filmo entière qui prend racines dans les années 70.

Un regard féminin, c'est donc notable. Et cela bouscule bien des lignes. Pourquoi ? Il raconte...
Fabrice Luchini a adoré être dirigé par une femme cinéaste. Il témoigne, à BRUT : "En fait les femmes sont plus douées pour la vie. Les hommes eux sont vaniteux souvent. Ils veulent pisser plus loin que leur prochain. Barbara Schultz sur un plateau au contraire c'était l'autorité sans l'antipathie, la détermination sans l'arrogance..."
Et l'homme de théâtre de poursuivre : "Chez elle on sentait cette impression de : j'aime les gens que je dirige. Et quand on est aimé en tant que comédien, on sort toujours le meilleur de soi-même"

Plus d'empathie, de considération et d'écoute chez les femmes cinéastes, que chez leurs homologues masculins ? Plus d'estime envers l'expérience d'autrui et sa sensibilité intrinsèque ? Ce qu'aborde Luchini entre les lignes, c'est un vrai concept féministe, revenu sur le devant de la scène ces dernières années : le female gaze. D'abord théorisé par Laura Mulvey, avant d'être exploré par la critique cinéma Iris Brey dans son ouvrage de référence, Le regard féminin.
A Terrafemina, celle-ci nous explique tout...

"Il existe un regard féminin ou female gaze : un regard qui nous fait ressentir l'expérience d'un corps féminin à l'écran", précise à Terrafemina la journaliste Iris Brey à propos de cette théorisation. "Le regard masculin, ou male gaze, c'est la manière dont, par leurs choix de mise en scène et d'écriture, les cinéastes objectifient systématiquement le corps féminin, le privant de pouvoir au profit du regard masculin et de ses désirs"
"A l'inverse, le female gaze désigne des films qui partagent l'expérience de l'héroïne. Nous, spectateurs, ne sommes pas en train de regarder l'héroïne à distance, dans un rapport vertical de domination. Non, nous sommes avec elle, dans son corps, dans son expérience, pour ainsi dire dans son vécu. Le male et le female gaze interrogent tous deux, par des choix de mise en scène, la manière dont se construit notre rapport à l'image, au désir et au plaisir"
"Plus globalement, ce qu'incarne le female gaze c'est un geste artistique conscient et politisé, qui interroge le patriarcat, par des choix de récit et de mise en scène, remettant ainsi en cause un rapport de pouvoir asymétrique banalisé par le male gaze (comme dans tous ces films, où, par exemple, les actrices sont toujours plus jeunes que leurs partenaires)"
Dans le cas qui nous intéresse, tout aussi intéressant, le regard féminin s'attarde sur la sensibilité... Masculine ! Barbara Schultz marche ainsi sur les pas de femmes cinéastes fascinées par "l'expérience" des hommes, et l'importance de leur accorder un point de vue différent : on pense fortement à Nicole Garcia, Anne Fontaine, mais aussi à l'Américaine Kathryn Bigelow... Cinéaste géniale à laquelle nous avons dédié ce long portrait.