Il leur aura fallu du temps et beaucoup de courage pour réussir à sortir de leur silence. Dans des entretiens accordés à Mediapart et à France Inter, plusieurs femmes dénoncent des cas de harcèlement et d'agressions sexuelles répétées – certains faits remontant à 1998 – de la part du député de Paris et ex-membre d'Europe Écologie-Les Verts Denis Baupin.
Au total, révèle Mediapart, "ce sont huit cas pouvant relever du harcèlement sexuelle ou de l'agression sexuelle que nous avons découverts". Tous concernent des élues d'EELV, parti dont Denis Baupin faisait partie jusqu'au 18 avril dernier.
Porte-parole du parti écologiste, Sandrine Rousseau est revenue sur France Inter sur l'agression qu'elle a subie en octobre 2011. "J'animais la réunion, j'étais en tribune. À un moment, j'ai voulu faire une pause, je suis sortie de la salle. Dans le couloir qui longeait cette salle, Denis Baupin est venu, m'a plaquée contre le mur, m'a tenue par la poitrine et a cherché à m'embrasser. Je l'ai repoussé violemment. [...] J'étais tellement choquée sur le moment que je n'ai pas dit grand-chose."
Sandrine Rousseau explique alors avoir ressenti "un très grand malaise", d'autant plus difficile à supporter qu'elle était nouvelle dans le parti politique. Elle a d'ailleurs hésité longuement et n'a finalement pas porté plainte. "J'ai été prise dans tout ce que les femmes disent quand elles sont victimes de violences, sur le moment elles culpabilisent, elles se sentent fragiles, isolées. C'est exactement tout ce que j'ai ressenti à ce moment-là et qui m'a empêché de porter plainte."
Adjointe à la mairie du Mans depuis 2014, Elen Debost dénonce elle des "SMS d'incitation sexuelle" envoyés régulièrement par Denis Baupin en 2011, et ce malgré ses demandes régulières d'arrêter. "Ça a duré plusieurs mois", explique-t-elle, ajoutant qu'il lui a envoyé plus de "150 SMS" dans lequel Denis Baupin tenait "des propos plus que graveleux du type 'je suis dans un train et j'aimerais te sodomiser en cuissardes', 'j'adore les situations de domination, tu dois être une dominatrice formidable', 'j'ai envie de voir ton cul', des choses comme ça."
Ex-membre d'EELV et députée de la 5e circonscription du Calvados, Isabelle Attard a elle aussi subi "du harcèlement quasi quotidien" de la part du député écologiste et vice-président à l'Assemblée nationale de juin 2012 jusqu'à son départ du parti écolo en novembre 2013. "C'était 'j'aime bien quand tu croises tes jambes comme ça'. C'était même dans des déjeuners ou des réunions de travail de me proposer d'être mon amant", raconte Isabelle Attard au micro de France Inter. Si elle envisage un temps d'adresser un courrier à la direction du parti, Isabelle Attard explique ne pas avoir envisagé de porter plainte. "Beaucoup se sont tus pour ne pas blesser Emmanuelle Cosse, sa compagne", ajoute-t-elle.
D'autres femmes, élues et salariées, détaillent elles aussi, sous couvert d'anonymat, les remarques et gestes déplacés de Denis Baupin à leur encontre. Seule Annie Lahmer, militante chez les Verts depuis 25 ans, témoigne à visage découvert et dénonce le harcèlement qu'elle a subi de la part du député lorsqu'elle travaillait au siège du Parti en 1999.
Pourquoi avoir décidé d'enfin parler après des années de silence. C'est la photo de la campagne #MettezDuRouge postée à l'occasion du 8 mars et sur laquelle Denis Baupin pose aux côtés d'autres politiques pour dénoncer les violences faites aux femmes qui a servi de déclencheur. "Cette photo où il apparaît avec du rouge à lèvres pour soi-disant dénoncer les violences faites aux femmes m'a fait l'effet d'un électrochoc. J'ai vu quelqu'un qui ne défendait pas les droits des femmes, mais qui avait forcé une femme à l'embrasser", raconte Sandrine Rousseau.
À la direction d'EELV, ce sont les accusations contre Denis Baupin qui font sûrement l'effet d'un électrochoc. Pourtant, France Inter affirme que François de Rugy et Barbara Pompili étaient au courant des agissements du député. Alertés par une collaboratrice qui avait reçu des SMS inconvenants, les deux anciens cadres d'EELV auraient "réglé le problème". "Depuis, c'est réglé, il n'y a plus eu d'ambiguïté", affirme Barbara Pompili. "Par la suite il n'y a jamais eu de problème avec cette collaboratrice ni avec d'autres", assure de son côté de Rugy.
Pourtant, si l'on en croit les présumées victimes de Denis Baupin, sa réputation sulfureuse était bien connue. "Énormément de gens disaient de Denis Baupin que c'était un harceleur sexuel. Ça oui, c'était très connu, tout le monde le savait", assure Sandrine Rousseau. Une version corroborée par Dominique Trichet-Allaire, qui préside la commission féminisme chez EELV et avait tenté en 2015 d'alerter la direction du parti. "En 2015, j'ai mis les pieds dans les plats dans le cas de notre conseil fédéral, en faisant part de violences sexuelles qui pouvaient exister dans notre parti et qui nous avaient été signalées. Il y a eu d'abord sidération, puis déni et même des huées dans la salle et enfin appui."
Car dénoncer le sexisme en politique, qui plus est d'un membre d'un parti de gauche et ouvertement positionné sur la question du féminisme et des droits des femmes, reste extrêmement compliqué. "Il y a des logiques de préservation de la logique partisane et tout ne se dit pas. Les rapports de pouvoir et de domination sont les mêmes chez les Verts comme ailleurs", analysait en 2013 Vanessa Jérôme dans l'article (In)égalités des droits et questions sexuelles chez Europe-Ecologie Les Verts.
Sollicité par France Inter et Mediapart, Denis Baupin n'a pas souhaité leur répondre mais leur a fait adresser de la part de ses avocats des courriers comminatoires. Il a ce midi démissionné de son poste de vice-président à l'Assemblée nationale.