
"Rape me, my friend"
On a déjà connu refrain moins dérangeant que "Viole moi". C'est pourtant ce que propose Kurt Cobain, chanteur écorché vif et leader du groupe grunge Nirvana, en plein milieu des années 90, dans l'un des sons les plus mémorables de l'album In Utero (qui succède au mégasuccès Nevermind) : "Rape me", donc. Comme à son habitude, l'artiste regretté y déploie toute sa poésie surréaliste macabre, animée par une rage, un désespoir, et une indignation salutaire, dont l'intensité redouble au fil des décennies.
Il n'est pas toujours évident trente ans plus tard d'éclairer le sens des phrases volontairement chaotiques et métaphoriques de Kurt Cobain. Mais aujourd'hui, ses fans dédient des vidéos d'analyse entières à cette chanson en particulier. Elle apparaît limpide en notre époque post #MeToo, d'autant plus lorsque les nouvelles générations mettent en évidence sa modernité. D'aucuns voient là une démonstration de l'engagement féministe de la légende de Seattle.

Sur TikTok, une vidéo passe "Rape me" à la moulinette. Celle de la créatrice Grande Bavardeuse.
Et précise l'intention de Kurt Cobain : dénoncer le viol, sa banalisation, et à travers cela, la culture du viol aux Etats-Unis. Cette expression féministe majeure (décryptée par Sandrine Rousseau ici) désigne l'euphémisation des violences sexuelles, voire leur glamourisation, et en retour, le fait de faire porter à grands coups de "victim blaming" la culpabilité sur la victime desdites violences.
Mais tel que l'énonce la TikTokeuse Grande Bavardeuse dans son analyse détaillée et abondamment commentée, ce qui est frappant avec cette chanson, "c'est que Kurt Cobain va complètement à l'encontre de la romantisation du viol. Il raconte l'histoire d'une femme qui se confronte à son agresseur. Et lui dit en substance : si tu tentes la moindre chose, tu n'as pas idée de la colère qui pourrait s'abattre sur toi"

Pour Grande Bavardeuse, c'est ce qui différencie Nirvana de bien des groupes à succès de la scène rock et hard rock de l'époque, "comme Guns n Roses", lesquels se souciaient peu d'un quelconque engagement en faveur des femmes victimes de violences. Doux euphémisme. "Alors que Nirvana a participé à des événements caritatifs pour leur venir en aide et sensibiliser à ce sujet", précise la créatrice de contenus.
Le chanteur s'exprime sur ce sujet dans ses chansons, et en interview. Tel que le relate mic.com, Cobain fustigeait ainsi : "Le viol est l'un des crimes les plus atroces au monde et pourtant, chaque minute, il a lieu sur Terre. Et l'un des gros problèmes, c'est que l'on souhaite 'enseigner' aux femmes à se défendre face aux violeurs. Mais ce sont les hommes qu'il faut éduquer. Il faut apprendre aux hommes à ne pas violer"
Ca a le mérite d'être clair, non ?

Mais ce n'est pas tout...
Cobain, à l'instar de bien des emblèmes rock, exprimait son combat contre les violences patriarcales à travers son style, se jouant volontiers des stéréotypes de genre - arborant robes et makeup sur scène, lors des concerts très fiévreux de Nirvana. Mais il n'hésitait pas non plus, et c'est beaucoup plus rare, à dire les termes. Quitte, dans cette chanson, à s'exprimer à travers la voix d'une victime fictive.

De nombreux sites anglosaxons dédient d'abondantes analyses à la ritournelle grunge.
Pour mic.com, la chanson n'a jamais été aussi (im)pertinente. Et s'impose comme "un hymne anti violences sexuelles", le plus dévastateur et percutant qui soit. Ce n'est pas si étonnant. Rappelons que Kurt Cobain admirait notamment Kathleen Hannah, la chanteuse du groupe Bikini Kill, fer de lance du mouvement féministe riot grrrrl. Hannah, qui dénonçait à corps et à cri les violences patriarcales dans sa musique, ses performances punk sur scène et ses prises de parole.
Engagement auquel Cobain fait acte de révérence.

Et qu'il précise dans son journal intime, rapporte France Inter, puisqu'il y écrit (dans une édition traduite par Laurence Romance) : "J’aime savoir que les femmes sont généralement supérieures aux hommes et moins violentes qu'eux. Il est presque impossible de déprogrammer l’oppresseur mâle, en particulier lorsqu’il a été biberonné au sexisme de génération en génération. Je n'aime pas les machos et les mecs violents"
C'est dit. Et Matthieu Culleron, journaliste, de clamer : "Le journal intime Kurt Cobain, publié après sa mort, regorge de pensées féministes. Dans une liste de concepts, censés fonder son groupe Nirvana, on retrouve cette phrase : "puissent les femmes gouverner le monde". Kurt Cobain a combattu sans relâche pour la cause des femmes et qui a très largement contribué à féminiser le rock pour des générations"