82. C'est le nombre de films réalisés par des femmes qui ont été projetés au cours des 71 éditions du Festival de Cannes. 1688 réalisateurs ont, eux, eu l'occasion de fouler les marches du Palais pour présenter leur long métrage. Une disparité encore creusée par le nombre de Palme d'or – 2 – à avoir été décernées à des femmes à ce jour. Samedi 12 mai, ce sont donc 82 femmes qui se sont installées sur les marches pour faire entendre leur gronde et appeler au changement, sous la houlette de Cate Blanchett, présidente du jury.
Céline Sciamma, réalisatrice (Bande de filles, Tomboy) et co-fondatrice du collectif 5050 pour 2020, a rejoint ce rassemblement 100% féminin. Lancé avant la cérémonie des César 2018, le projet a déjà fait du chemin et une charte pour la parité et la diversité dans les festivals de cinéma sera signée ce lundi (14 mai), à Cannes, par Thierry Frémaux, délégué général du festival, Édouard Waintrop, délégué général de la Quinzaine des réalisateurs, et Charles Tesson, délégué général de la Semaine de la Critique.
Cette charte expose plusieurs engagements qui visent à "genrer" les statistiques habituelles quant au nombre de films soumis à sélection, à rendre transparente la liste des membres des comités de sélection et programmateurs, et à s'engager sur un calendrier de transformation des instances dirigeantes des festivals pour parvenir à la parité parfaite.
En 2016, le Festival de Cannes avait déjà entamé une discussion de fond sur l'égalité hommes-femmes dans l'industrie cinématographique en accueillant Alice Bah Kuhnke, ministre suédoise de la Culture et de la démocratie, et Audrey Azoulay, alors ministre de la Culture. "Un film peut créer un sentiment fédérateur mais aussi aliénant. Il semble y avoir une inquiétude constante quant à la capacité des femmes à faire des films de qualité... Aujourd'hui, les femmes représentent 26% dans ce secteur en Suède mais d'ici 2020, nous voulons atteindre 50%", expliquait Alice Bah Kuhnke. Un souhait formulé il y a deux ans que la Suède réitère depuis à chaque édition. "Ce ne sera pas simple mais on doit faire bouger les lignes. Et si, en tant que leaders, nous ne nous sentons pas prêts à suivre le mouvement, alors nous devons quitter nos postes."
Lors d'une conférence sur les suites à donner au mouvement #Metoo organisée ce dimanche (13 mai) par l'Institut suédois du film, l'actrice Eva Röse a livré un discours particulièrement incarné en évoquant le rassemblement de 456 actrices suédoises lors de la cérémonie des Guldbaggen 2018, équivalent des César. Membres du mouvement "tystnadtagning" (action silencieuse), Röse et ses comparses clament que le besoin d'égalité n'est pas une question d'opinion. Il s'agit d'un "mouvement international pour les droits de l'Homme (et de la Femme, sic). Pas besoin d'être un connard pour faire des films géniaux. TIME'S UP !", a conclu l'actrice, le poing en l'air, reprenant le titre de l'initiative américaine de soutien aux victimes de harcèlement.
Aujourd'hui, sur cinq films français qui sortent en salles, un seul est réalisé par une femme. De la technique à la production, la sous-représentation est effarante. Déplorant le "modèle indigne que propagent notre démocratie et la sphère artistique", Françoise Nyssen, ministre de la Culture, a souligné le soutien que doit apporter l'industrie du cinéma aux femmes afin qu'elles bénéficient des mêmes moyens de création que les hommes. "Nous avons entendu une détonation qu'il faut faire suivre d'une révolution. Les personnes qui feront vraiment la différence seront celles qui rendront le mouvement tangible, car après #Metoo, qu'est-ce qu'on fait ?".
Marlène Schiappa, secrétaire d'état d'Etat chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, a quant à elle incité l'auditoire à s'exprimer au nom de celles qui ne peuvent pas le faire et à modifier la représentation du monde au cinéma. "Il y a 52% de femmes dans le monde, la majorité, c'est nous ! Aucune femme ne devrait se sentir en situation de domination et craindre pour sa propre sécurité quand elle recherche un financement pour son film."
40 000 flyers ont été distribués en début de festival cette année afin de rappeler aux participant(e)s que le harcèlement sexuel peut être puni par trois ans de prison et une amende de plus de 45 000 euros. Un numéro d'urgence a également été mis en place pour la première fois et plusieurs appels ont déjà été recensés. Si la parité a encore beaucoup de chemin à faire, le silence perd résolument du terrain.
Laura Pertuy