Petite déjà, Rizlen Zouak aimait "se bagarrer". La gamine en survêtement voulait protéger et défendre les autres. "Je ne me laissais pas faire". Née à Beaune en Côte d'or d'une mère française et d'un père marocain, elle a grandi dans une famille de combattants : son grand-père maternel, boxeur de boxe anglaise, copinait avec Marcel Cerdan à Casablanca, ses oncles et sa mère faisaient de la lutte. C'est pourtant d'abord vers les cours de tennis que la petite fille s'est tournée. Jusqu'au coup de foudre pour le judo à 6 ans : "Je regardais les judokas en attendant que mes parents viennent me récupérer de mes cours de tennis. L'entraîneur a incité ma mère à m'y mettre, voyant bien que j'étais fascinée."
La jeune Rizlen est douée : elle apprend vite, progresse et commence à gagner. Alors qu'elle est en Sport étude à Strasbourg, elle est repérée par l'équipe de France cadette. La voilà à Paris avec des rêves de carrière en tête. "J'ai eu un vrai feeling avec ce sport : le judo m'a appris des valeurs comme le respect, la modestie, la discipline."
Rapidement, elle "fait des résultats". Elle devient championne d'Europe par équipe avec l'équipe de France, Médaille de bronze lors des Championnats de France... Mais en 2006, "un gros truc" manque de briser son élan à jamais. Lors d'un repas au restaurant en Allemagne, elle contracte un staphylocoque doré. La judokate, alors numéro 3 française, se retrouve clouée à l'hôpital, entre la vie et la mort. "J'ai perdu onze kilos en trois jours et beaucoup de confiance en moi. Mais je suis revenue sans rien lâcher. Le staff de l'équipe de France m'a beaucoup soutenue." Après cette épreuve, la championne va même réaliser son rêve de gosse : participer aux Jeux olympiques en 2012. "J'avais la chance d'avoir la double nationalité, j'ai fait une demande à la Fédération française de judo pour pouvoir combattre avec mon pays d'origine et ils ont accepté." Rizlen Zouak devient alors la première femme de l'histoire du judo marocain à concourir aux JO. "J'ai provoqué mon destin", sourit-elle.
Alors pourquoi la jeune femme a-t-elle choisi de délaisser le kimono pour se tourner vers le MMA (Mixed Martial Arts) en 2016 ? Tout est affaire de rencontre. Elle croise la route de Fernand Lopez, entraîneur de MMA et fondateur de MMA Factory, le plus grand gymnase dédié à la discipline en France. "Je ne connaissais pas ce sport. Et lorsque j'ai vu des vidéos, ça m'a plu. Avant les JO 2016, je suis allée dans sa salle pour ma préparation physique. Je regardais les mecs s'entraîner et j'ai adhéré direct. J'ai appris le MMA en observant, mon cerveau mémorisait spontanément les différentes techniques. "
Ce qui lui plaît dans le MMA, c'est le "tout-en-un". Car le sport mixe allègrement la boxe pied-poing, le sol, la lutte. Mais la combattante de 35 ans le martèle avec force : "Il y a un vrai règlement." Car le MMA a longtemps pâti d'une mauvaise réputation. Jugée trop violente, la discipline n'avait pas de fédération en France jusqu'à l'année dernière (elle est aujourd'hui sous tutelle de la Fédération Française de Boxe) et ses compétitions n'ont été légalisées qu'en janvier 2020.
"Il y a eu beaucoup d'amalgames. Il se disait que tous les coups étaient permis, qu'il n'y avait pas de règles. C'est faux. On est très contrôlés. On n'a pas le droit de tirer les cheveux, de taper derrière la tête par exemple... Les frappes au sol peuvent être impressionnantes, or elles sont moins dangereuses car moins puissantes que si nous étions debout", poursuit la puncheuse qui concourt dans la catégorie des moins de 61 kg. "Le MMA, c'est du show, ça se chambre, mais il y a toujours du respect. C'est un vrai sport avec de vraies valeurs."
Lâchée sur l'octogone, la "Lionne de l'Atlas" ("Un surnom qui vient de mon petit neveu qui m'appelle 'Tata lion'") ne craint rien, ni de personne. Et elle n'a pas peur de se faire mal. "En combat, ça arrive de se blesser, mais comme en boxe anglaise ou au rugby. Ce n'est pas plus dangereux qu'un autre sport de combat."
Ses atouts ? "Le corps à corps et le sol, des techniques que j'ai apprises au judo. Et puis mon mental. J'apprends tout, comme une enfant." Pourtant, elle s'amoche : une entorse au coude, un arrachement du ligament au niveau du pouce.... "Mais ça ne m'empêche pas de combattre. Je suis dopée à l'adrénaline." Comme beaucoup d'autres combattant·e·s, Rizlen Zouak a en ligne de mire le fameux UFC (Ultimate Fighting Championship), l'organisation américaine reconnue comme la plus importante ligue mondiale de MMA. "Ils recrutent. Plus on fait des spectacles, des performances, plus ils aiment ça. Et moi, j'ai la chance de faire du show, notamment avec des 'projections' de judo. Les spectateurs adorent ça, ça fait du bruit, on soulève l'adversaire, c'est impressionnant."
Rizlen Zouak, première représentante du Maroc en combat libre, travaille quatre heures par jour pour atteindre son rêve américain. A la salle, elle s'entraîne avec des mecs, faute de partenaires féminines. "Au début, j'étais la seule fille dans mon club, aujourd'hui, nous sommes 6 femmes sur 40 pros." Elle regrette la sous-médiatisation de ces athlètes, pourtant de plus en plus nombreuses. "C'est un classique, on parle toujours plus des hommes que des femmes. C'est à nous de ne pas leur donner le choix, montrer qu'on est là."
Pour tenir le rythme, elle peut compter sur le soutien indéfectible de son mari, lui aussi pratiquant de MMA. Le couple de "fighters" se booste, s'échange des bonnes pratiques. "Il est mon tout, ma force", confesse-t-elle. Sur son compte Instagram, qu'elle nourrit de petites vidéos d'entraînement et de selfies persos, sa communauté lui transmet de l'énergie positive. "Je reçois beaucoup de messages me disant que je les motive, que je suis un exemple. J'ai aussi des messages nuls de mecs qui me défient : un homme qui demande à une femme de se bagarrer, c'est minable. D'ailleurs, les combats mixtes n'existent pas. Je soutiens beaucoup la cause des violences faites aux femmes. Et jamais je ne combattrai un homme."
L'année passée a été rude pour Rizlen l'hyperactive. La crise du Covid a mis à mal son inébranlable gnaque. "Ca m'a tuée de ne pas pouvoir m'entraîner. J'ai pris du poids, j'ai déprimé. A la reprise, je n'ai pas arrêté de me blesser", avoue-t-elle. Après ces longs mois de frustration, la revoici sur le ring. Elle se sent prête. Son avenir ? Si une signature de contrat au sein de l'UFC tarde trop, elle songera à la maternité. "Et je me verrais bien entraîneuse. Je coache déjà des petits dès 5 ans. Je vous le dis, le MMA, c'est l'avenir !"