"Arrêtez de nous bombarder maintenant s'il vous plaît, je veux dormir. Je suis fatiguée", "Arrêtez le bombardement pour que je puisse aller à l'école", "J'ai très peur de mourir ce soir" : voilà le quotidien de la petite Bana Alabed, 7 ans, piégée à l'est d'Alep avec sa mère et ses deux frères. Sur Twitter, elle raconte son quotidien, rythmé par l'attente, les bombardements et la peur. Ses messages, lourds d'angoisse et d'incompréhension, se répètent et se ressemblent, à l'image de l'immuable cauchemar dans lequel elle est coincée. Son témoignage est un véritable coup de poing : Bana présente dans toute sa réalité une situation qu'on ne connaît qu'à travers des chiffres ou des images de décombres. Et cette plongée en enfer, à travers les yeux d'une fillette de 7 ans terrifiée, est insoutenable.
Bana n'a jamais rien connu d'autre que la guerre : elle est à peine plus vieille que le conflit, qui dure depuis 2011, presque six longues années durant lesquelles elle a fait plus de 300 000 morts et jeté sur les routes des millions de personnes. La fillette ne se rappelle pas de la beauté d'Alep, l'ancienne capitale économique du pays, de ses jardins édéniques classés au patrimoine mondial de l'UNESCO, de ses monuments en pierres blanches ou ses ruelles pavées tooujours animées. La ville, divisée depuis 2012 entre les quartiers est, tenus par les rebelles, et les quartiers ouest, tenus par les forces du régime, est devenue le principal front du conflit syrien et n'est plus par conséquent qu'un vaste champ de ruines.
Actuellement, les forces d'Assad, appuyées par les frappes aériennes de Poutine, font l'assaut des quartiers rebelles pour tenter de les reprendre. Et la situation ne cesse d'empirer pour les 250 000 habitants d'Alep-Est, dont 100 000 enfants, qui sont confrontés quotidiennement aux bombardements, aux pénuries d'eau et de nourriture et à une dégradation des moyens sanitaires : le plus grand hôpital de l'est d'Alep a été détruit par les frappes l'aviation russe le samedi 1er octobre. "Non seulement il y a des dégâts parmi les civils mais on est en train de viser de manière directe l'infrastructure qui permet aux civils de survivre s'ils sont blessés et on est en train de les affamer par le siège, de les brûler...", explique le politologue Ziad Majed dans une interview pour Le Monde .
"Ce qui se passe à Alep, c'est un carnage, au sens propre du terme", ajoute Ahmed Aboul Gheit, le secrétaire général de la Ligue arabe, qui souligne l'urgence d'un cessez-le-feu. D'après le communiqué officiel de l'UNICEF, parmi les plus de 350 personnes tuées en une semaine dans l'est d'Alep, près de 100 sont des enfants. "Ils vivent un cauchemar éveillé", alerte Justin Forsyth, le directeur adjoint de l'organisation. Le rapport s'appuie aussi sur le témoignage d'un docteur sur le terrain, qui témoigne : "La souffrance et le choc que nous avons constatés chez les enfants sont les pires qu'on n'ait jamais vus".
Et au milieu de toute cette tourmente, Bana tweete avec acharnement, comme pour exorciser sa peur. Au départ, c'est pour l'aider à exprimer son incompréhension que sa mère Fatemah l'a aidée à ouvrir un compte Twitter : la petite fille, avec ce sens de la justice implacable qu'ont les enfants, ne comprenait pas que le monde les laisse dans une telle situation. S'exprimer était devenu une nécessité : ses messages lui permettaient de faire entendre sa voix, d'avoir un exutoire pour sa colère face aux massacres quotidiens.
Pèle-mêle, elle raconte les bombardements incessants, le sol qui tremble, la terreur de ses frères, la fatigue et l'incompréhension : "J'ai très peur de mourir ce soir. Les bombes vont me tuer". Mais elle parle aussi ses rêves perdus : "Je veux devenir professeur, mais la guerre est en train de détruire mon rêve, arrêtez les bombardements. Laissez moi apprendre l'anglais et les maths", supplie-t-elle.
Cela fait un an qu'elle ne peut plus aller à l'école, qui ont toutes été détruites ou fermées. Des activités aussi simples que lire ou dormir deviennent difficiles, au milieu des explosions : elle supplie régulièrement "d'arrêter de bombarder pour qu'[elle] puisse dormir". Et l'horreur n'est jamais très loin : dans l'un de ses tweets, elle montre une photo des débris de la maison d'une de ses amies, qui est morte sous une bombe avec toute sa famille.
Et ce "cauchemar éveillé" au quotidien ne va pas sans laisser de séquelles. "Elle est renfermée et distraite : quatre heures de sommeil par nuit, c'est un miracle pour elle sous les bombes. Elle veut sortir et aller à l'école, mais ne peut pas faire grand-chose à part rester à la maison et colorier ou jouer avec les enfants des voisins", confie avec inquiétude sa mère via Skype dans une interview pour The Guardian. Alors elle continue à tweeter, d'envoyer des SOS au monde entier pour garder un peu d'espoir. Et ne serait-ce que pour cela, on se doit de continuer à la lire : le silence tue aussi sûrement que les bombes.