Société
A Porto Rico, le maquillage est une arme politique contre le gouverneur
Publié le 23 juillet 2019 à 11:37
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Des larmes d'encre qui coulent sur les joues des citoyennes indignées. C'est cette image puissante qui envahit depuis des jours déjà les rues de Porto Rico. Indigné, le peuple attend patiemment la démission de son gouverneur.
Les manifestantes s'indignent à Porto Rico. Getty Images. Les manifestantes s'indignent à Porto Rico. Getty Images.
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"Puta". C'est ce qu'aurait décoché Ricardo Rosselló à l'adresse de la conseillère Melissa Mark-Viverito. Et ce au sein d'une conversation groupée sur la messagerie cryptée Telegram où, aux côtés du gouverneur de Porto Rico, ce ne sont pas moins d'une douzaine de hauts responsables locaux qui se côtoient. Révélées au public par le Centro de Periodismo Investigativo (soit le Centre de journalisme d'investigation), ces 889 pages de discussions (!) ont suscité l'indignation. Et bien plus encore. Cette semaine, le peuple portoricain est sorti dans la rue pour manifester. Aujourd'hui, il exige la démission du gouverneur.

Il y a de tout dans ces échanges virtuels virulents. Des messages à caractère sexiste, homophobe, diffamatoire. Rossello s'en excuse laborieusement en expliquant que ce groupe de discussion "sert à évacuer la tension des journées de travail". Mais cela ne contente pas les milliers de citoyens qui le huent. Et encore moins les citoyennes. Comme le relève Teen Vogue, celles-ci emploient un outil bien singulier pour fustiger au grand jour la misogynie du gouverneur : le maquillage. Un apparat aussi puissant que leur mot d'ordre : "Ricky, renuncia!". "Ricky, démissionne !".

Du make-up politique

Du maquillage oui, mais pas n'importe lequel. Sur ce make-up qui s'étend jusqu'au buste des manifestantes, on perçoit les motifs du drapeau portoricain et, surtout, des larmes noircies. Une image-choc, intime, instantanément évocatrice et propice à la viralité. Cela n'a d'ailleurs pas loupé : sur Instagram et Twitter abondent les photos de citoyennes peinturlurées.

Quoi de plus intense sur une île où l'on estime à 51 le nombre de femmes assassinées en 2018 ? Et parmi ces féminicides, la moitié relèverait du meurtre conjugal. Une réalité à laquelle ce make-up rétorque en dévoilant des atours macabres. Outre les larmes factices aux couleurs nationales, la tête de mort n'est jamais loin.

Du côté de Bustle.com, la journaliste Frances Solá Santiago voit là un signe de contestation à l'encontre d'un gouvernement "dirigé par un groupe de machistes qui minimisent les souffrances des femmes portoricaines". La violence des mots adressés à la conseillère Melissa Mark-Viverito témoigneraient directement "d'une culture de l'agression" envers les femmes qui ne sont pas d'accord avec les actions de l'administration Rosselló.

Au sein de cette affaire historique que l'on appelle déjà le "#TelegramGate", le maquillage permet au peuple d'exprimer sa révolte face à l'austérité économique qui perdure, les inégalités sociales, le sexisme et, plus globalement, une politique locale qui va à vau-l'eau.

Le 10 juillet dernier, à l'aube des manifestations, six membres du gouvernement ont été arrêtés par des agents fédéraux. On les accuse de fraude et de blanchiment d'argent. Les prémices d'un renversement ? Rien n'est moins sûr : malgré les protestations de masse, auxquelles réagissent violemment les forces de l'ordre, Ricardo Rosselló refuse toujours de se retirer.

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