"Le monde entier sait ce qu'il se passe dans votre pays. Nous voyons votre courage. Nous voyons le courage des femmes. Nous voyons votre souffrance. Nous voyons les abus indicibles. Nous voyons les violences. Votre aspiration et votre détermination à vivre dans un pays démocratique nous inspirent", déclarait le président du Parlement européen David Sassoli à Svetlana Tikhanovskaïa, mercredi 16 décembre. Un discours qui accompagnait la remise du prix Sakharov "pour la liberté de l'esprit", du nom du physicien russe et militant pour les droits de l'homme Andreï Sakharov.
En quelques mois, la trentenaire est devenue la figure de l'opposition biélorusse, à l'heure où le président en place, Alexandre Loukachenko, refuse de quitter le pouvoir. Depuis sa réélection fortement contestée le 9 août dernier, celui qu'on surnomme le "dernier dictateur d'Europe" mène une violente répression contre les militant·e·s pro-démocratie.
Mi-novembre, les organisations de défense des droits de l'homme estimaient à 18 000 le nombre d'arrestations, quand une fuite du ministère de l'Intérieur faisait plutôt état de 25 800 personnes emprisonnées. Deux semaines plus tard, après cent jours de protestation citoyenne, le chiffre aurait grimpé à 30 000.
Parmi elles, le blogueur et dissident politique Sergeï Tikhanovski, mari de Svetlana Tikhanovskaïa et père de leurs deux enfants.
C'est au printemps dernier, lorsque son époux est arrêté pour "trouble à l'ordre public" (ou plutôt pour avoir critiqué le régime autoritaire dans de nombreuses vidéos publiées sur Youtube), que l'ancienne traductrice décide de prendre le relais. Consciente des risques qu'elle encourt, elle met ses enfants en sécurité en Lituanie et se lance à sa place dans la campagne présidentielle. Les autorités ne la jugent pas capable de concurrencer Loukachenko, soutenu par Moscou, et lui accordent sa candidature, la qualifiant au passage de "pauvre nana". Le peuple, lui, voit en elle une porte de sortie salutaire vers la démocratie.
Seulement, la mobilisation qu'elle suscite n'ébranle en aucun cas le président au pouvoir depuis 1994, qui "gagne" de nouveau l'élection avec 80,2 % des suffrages. Un résultat que ne reconnaît pas l'Union européenne. Le chef de la diplomatie de l'Union européenne Josep Borrell annonce même "procéder à une nouvelle série de sanctions en réponse à la brutalité des autorités". Et plaide pour "la fin des détentions et des violences contre les manifestants pacifiques, la libération de tous les prisonniers politiques et ceux injustement détenus et des poursuites contre les personnes qui ont autorisé et perpétré des violences et des traitements inhumains".
Par ailleurs, une délégation d'eurodéputé·e·s devrait se rendre en Biélorussie début 2021. Loukachenko et son fils, ainsi que treize responsables du parti, ont également été ajoutés à la liste noire des personnes sanctionnées par l'UE en novembre dernier.
Svetlana Tikhanovskaïa assure quant à elle avoir remporté le scrutin, et ne compte pas abandonner la lutte pour la liberté et le retour des siens. "Nous sommes destinés à gagner et nous allons gagner", lance-t-elle cette semaine devant le Parlement européen. A ses côtés, neuf autres militant·e·s ont été honoré·e·s de la même distinction, dont Maria Kolesnikova, aujourd'hui emprisonnée, et Veronika Tsepkalo, en exil comme Tikhanovskaïa, qui ont toutes deux fait campagne à ses côtés.