Atafeh et Shirin coulent des jours plus ou moins légers à Téhéran. Des nightclubs aux virées en taxi en passant par leurs rigolades potaches chez elles, leur amitié semble invulnérable. Peut être car ce qu'elles éprouvent dépasse l'amitié... Très vite, sous le regard d'un mari despotique, leur relation devient transgressive, et plus encore : interdite.
Sous ce pitch qui peut vous sembler très implicite, la réalisatrice et scénariste Maryam Keshavarz déploie en vérité avec son film En secret, à découvrir absolument sur francetv, une oeuvre plutôt frontale et peu impudique dans ce qu'elle exprime : être lesbienne en Iran, tout simplement. Pas la moindre des conditions quand être femme, tout court, ouvre la porte à toutes les oppressions et violences genrées.
Etre lesbienne, et Iranienne : ce n'est pas seulement être stigmatisée, ou discriminée, si ce n'est menacée, c'est aussi, être invisible. Tabou brisé par Maryam Keshavarz qui dans cette chronique très moderne des soirées du Téhéran underground et surtout de la jeunesse iranienne voit son propos transcendé par deux comédiennes bouleversantes d'authenticité, Nikohl Boosheri et Sarah Kazemy...
On le rappelait récemment, à travers cette citation de la journaliste Mariam Pirzadeh, "Le combat que mènent les Iraniennes et les Afghanes nous concerne tous, car c'est un combat féministe". Voilà notamment pourquoi cette séance, toujours aussi actuelle malgré sa décennie d'existence, vous est indispensable...
Mais ce n'est pas la seule raison, non non.
Vous le comprenez volontiers, En secret n'est pas le moins audacieux des éclats du cinéma iranien - un cinéma pluriel, passionnant, foisonnant de personnages féminins denses et troubles - puisqu'il nous relate l'amour sulfureux entre deux femmes lesbiennes, inévitablement étouffées par tout un univers patriarcal qui se ressert sur elles, d'une séquence à l'autre, comme une fatalité... Cloisonnement total, de l'intérieur (le foyer familial et conjugal) à l'extérieur - comme la cabine d'un taxi, donnant lieu à une séquence éprouvante d'agression sexuelle.
Symbole parmi d'autres d'une société régie par ces violences, le foyer de notre protagoniste est cerné par les caméras de surveillance. En Iran, nos deux amies et amantes incarnent la quête d'émancipation d'une génération entière, recherche désespérée très globale : cela s'étend de la sensualité de leur relation charnelle à l'écoute de Kathleen Hanna - leadeuse de Bikini Kill, et de la révolution culturelle féministe Riot Grrrl dans les années 90 - tout en conduisant à toute vitesse, acte également condamné s'il en est par le système où ces citoyennes évoluent...
Des corps enlacés, au corps social - l'héritage des parents est un grand thème du film - en passant par la façon dont ces corps sont meurtris, condamnés... Maryam Keshavarz nous rappelle si besoin était que l'intime est politique, qu'être une femme qui aime une femme l'est toujours également, d'une manière ou d'une autre, et que le cinéma, à l'unisson, peut être, doit être, un grand geste militant.
Il n'y a pas que de la gravité dans ce récit, mais de l'ironie. Lors d'une scène très caustique, nos protagonistes se retrouvent ainsi à doubler clandestinement les films "Harvey Milk" et "Sex and the City" ! Une parenthèse savoureuse qui donne notamment lieu à la simulation d'un orgasme façon Quand Harry Rencontre Sally. Et l'un des jeunes personnages qui dit du film de Gus Van Sant : "tu sais qu'ici, on te ferait passer Harvey Milk pour un activiste homophobe !".
CQFD ?