Erotisme, policier, récit historique, journal intime... Il y en a pour tous les goûts dans cette vaste rentrée littéraire hivernale qui vient envahir nos librairies. Des voix d'autrices singulières, privilégiant des proses intimes et libres, au service d'une littérature toujours plus incarnée et audacieuse. C'est notamment le cas de ces six opus à dégoter à tout prix.
Après son très remarqué La deuxième femme, Louise Mey s'aventure de nouveau sur les territoires arides de la série noire avec ce roman crépusculaire. L'autrice nous immerge dans une campagne glaciale, à la fin des années soixante, décor atmosphérique où se déploie l'enquête tortueuse de deux flics de la capitale, bien décidés à retrouver les traces d'une petite fille disparue. C'est tout autant ce mystère que la prose de la romancière, vive et tranchante, qui happe notre attention dès les premières lignes. Une démonstration de style.
"Petite sale" de Louise Mey, Editions Le Masque, 300 p.
Autrice et musicienne afroqueer, Erika Nomeni détonne avec ce premier roman abordant sous la forme d'un journal intime le quotidien d'une héroïne marginalisée : femme noire et précaire, queer et militante, au sein du système patriarcal et hétéronormé qui la renvoie volontiers à sa condition.
Ce qui marque, c'est l'authenticité de ce récit, qui dans un style très incarné va tour à tour relater le racisme systémique et la fétichisation, les sexualités non-hégémoniques et les violences, le rapport au genre et la grossophobie. Puissant.
"L'amour de nous-mêmes" de Erika Nomeni, Editions Hors d'atteinte, 192 p.
A sa manière, Le dernier mot est un jeu de pistes : la recherche d'une mère, sosie lointaine de l'actrice Anouk Aimée (Un homme et une femme), que la romancière Virginie Mouzat relate au gré d'évocations et de souvenirs disparates, comme autant d'indices dispersés au gré des pages.
Une cartographie de l'intime et de la mémoire où les phrases ravissent autant par leur force que par leur pudeur. Un portrait en forme de puzzle, d'une sincérité poignante, qui nous rappelle que les mères sont toujours de grands personnages romanesques.
"Le dernier mot" de Virginie Mouzat, Editions Flammarion, 176 p.
Derrière cet intitulé poétique, un objet très singulier : un roman aux très courts chapitres, ponctué d'illustrations sensuelles explicites. Des crayonnés qui donnent corps à une prose déjà très organique en soi, puisqu'évoquant les émois sexuels et amoureux d'une protagoniste libre.
Une femme qui met autant à nu son corps - notamment en posant pour des étudiants en art - que ses affects, l'espace de lignes tour à tour crues, amères et touchantes. Ou comment revisiter la littérature érotique en conciliant le sexe, frontal, et la mélancolie.
"Solitude nue" de Pauline Wuth & Charlotte Vellin, Editions Thierry Marchaisse, 160 p.
A l'origine de L'heure des femmes, il y a une intention pas si éloignée du cours d'histoire féministe : revenir sur l'odyssée radiophonique de Menie Grégoire, surnommée "la dame du coeur", mère de famille bourgeoise recrutée par la radio RTL pour répondre aux (très nombreuses) questions des femmes dans la France des sixties. Questions portant sur leur quotidien, leurs soucis, leur sexualité. A l'époque déjà, Menie libérait la parole, et faisait entendre les voix des femmes au foyer anonymes.
Sa petite-fille, l'autrice et journaliste Adèle Bréau, lui rend un bel hommage avec ce roman polyphonique et sororal brassant des enjeux qui ne sont pas sans échos avec la société d'aujourd'hui.
"L'heure des femmes" de Adèle Bréau, Editions JC Lattès, 324 p.
Ce roman réunissant trois générations de femmes est l'histoire d'un non-dit qui va progressivement envenimer la relation entre une jeune femme et son modèle (grand) maternel. Non-dit forcément dramatique, dont la révélation bouleversante pourrait bien bousculer les liens tissés, les certitudes et les affects de chacune.
Abordant des enjeux capitaux au coeur de certaines mobilisations actuelles, Pour Suzanne s'empare d'un sujet tabou en déployant une écriture subtile et prenante, exemplaire de maîtrise.
"Pour Suzanne" de Nina Almberg, Editions Hors d'atteinte, 212 p.