"Hey Doc, les études médicales sont-elles vraiment sexistes ?". Voici le slogan choc d'une vaste enquête nationale -la première du genre- sur le sexisme dans les études en médecine lancée par l'Intersyndicat national des internes (ISNI) dont les résultats seront dévoilés ce vendredi 17 novembre. Alors, les carabins (sobriquet que l'on donne aux étudiant(e)s en médecine) sont-ils impacté(e)s par le sexisme ? "Oui", assure Marie, 29 ans, qui a terminé son internat en médecine générale à Paris il y a un an. Ses dix années d'étude lui ont fait côtoyé le sexisme quotidiennement, surtout à l'hôpital. À tel point qu'à l'époque, elle pensait que cela faisait partie de la tradition, que c'était "normal". Mais avec le recul, la jeune médecin a largement revu son diagnostic. Elle nous livre son témoignage.
"J'ai entendu des propos et vu des attitudes sexistes tout au long de mes études de médecine. Quand j'ai commencé mon internat, j'ai eu l'occasion de faire un stage en pédiatrie. Dans le service, nous étions trois filles et trois garçons. Il y avait un médecin- un homme- qui favorisait clairement les garçons. Il leur montrait des cas intéressants, tandis que nous, les filles, avions droit à la pédiatrie de base, aux consultations classiques. Dès qu'il y avait un cas qui sortait de l'ordinaire ou un acte technique à réaliser, nous n'étions pas sollicitées en premier lieu. J'ai aussi eu droit à beaucoup de remarques du style : 'Tu ne peux pas être à 100% dans ton travail car tu dois aussi gérer la maison, et puis après tu vas avoir une famille, tu vas faire des enfants etc'.
Mes chefs de service me présentaient souvent aux patients comme le 'joli médecin' ou 'la jolie jeune femme'. C'était constamment des remarques sur mon physique, toujours en lien avec le fait que je sois une femme. Par exemple, je porte très souvent du rouge à lèvres : quand j'en mettais pour aller travailler, je me prenais des remarques à ce sujet toute la journée. Quand je n'en mettais pas, j'avais le droit à des réflexions du type 'Tiens, aujourd'hui tu n'en as pas mis !'. À force, c'était vraiment fatigant. Mais c'était tellement répandu, qu'à l'époque, je n'y faisais pas plus attention que ça. Je me disais que c'était la tradition, 'l'humour médecine'.
Quand j'étais interne, il était courant que les patients ne me prennent pas au sérieux non plus. Dans mon milieu, on fait plus facilement confiance à un homme. Je ne compte plus le nombre de fois où, à la fin de la consultation, mes patients m'ont demandé, 'Quand est-ce que je vais voir le médecin ?'. Dans ces cas là, vous avez envie de répondre : 'Et bien, ça fait une demi-heure que je vous parle là, et oui, je suis bien médecin'. Parfois, les patients se permettent aussi de faire des remarques sur notre physique. Certains sont même allés jusqu'à me demander mon numéro ou à m'envoyer une invitation Facebook à peine la consultation terminée.
Récemment, j'ai assisté à une réunion de service. Nous parlions du harcèlement de rue. Un des médecins a pris la parole et a dit : 'Si maintenant on ne peut même plus siffler une femme dans la rue...' Et il a ajouté : 'Quand j'arrive le matin ici, je vous trouve toutes jolies, donc c'est normal que je vous le dise. Là, une femme médecin plus âgée a réagi en disant qu'en fait non, ça n'avait rien de normal. C'est déplorable, quand on sait que ce médecin-qui appartient à une autre génération- peut recevoir des patientes éventuellement victimes d'agressions sexuelles ou de violences... Et puis parfois, ça peut aller jusqu'au harcèlement sexuel. Personnellement, ça ne m'est jamais arrivée, mais je me souviens d'un médecin qui tentait systématiquement des approches en insistant énormément dès que des femmes stagiaires arrivaient dans le service.
Tout le monde à l'hôpital était conscient de ces écarts, que ce soit les remarques sexistes ou le comportement de certains médecins vis-à-vis de nous. Mais peu d'entre nous réagissait, moi y compris. Je ne me suis jamais vraiment offusquée de ce que j'entendais ou des remarques qu'on me faisait. Mais c'était il y a presque dix ans. J'étais plus jeune, moins expérimentée, je ne m'en rendais certainement pas bien compte non plus. Aujourd'hui, le problème est bien plus médiatisé, c'est devenu plus facile d'en parler. Aujourd'hui, je ne me laisserai plus faire."
Propos recueillis par Léa Drouelle