Et si TikTok devenait un outil de mobilisation politique ? La question mérite d'être posée quand l'on observe son usage sous couvert de sensibilisation alerte, de sorcières révolutionnaires et de pédagogie inclusive. Et aujourd'hui, ce sont les femmes domestiques des pays du Golfe qui se réapproprient l'application afin de témoigner de leur condition au sein des riches familles qui les emploient. Peu de considération humaine et professionnelle, pas de jours de congés, une paie misérable... Ces anonymes sortent de l'ombre et libèrent la parole.
Une réalité désormais rendue visible auprès du grand public sur fond de courtes vidéos accumulant des milliers de vues. C'est par exemple le cas des publications cinglantes de Brenda Dama, 26 ans, jeune femme de ménage kényane travaillant en Arabie Saoudite, et postant régulièrement sur son compte @ iamdee_2540. Sur l'un de ses montages, elle danse, en uniforme, au rythme d'une rengaine de sa création ("Un seul jour de congé ? "Je ne n'en ai pas. Une vie paisible sans querelles ni insultes ? Je n'en ai pas"). On ne peut plus limpide.
Comme l'énonce une enquête du New York Times, ce n'est là qu'une partie infime de ce que subissent les quatre millions de personnes employées pour ces tâches domestiques dans les pays du Golfe. "Beaucoup d'entre elles se disent surchargés de travail, harcelés sexuellement et cibles de discrimination", déplore le journal.
Une situation on ne peut plus critique.
"Ici, c'est vraiment difficile. Vous finissez par pleurer tous les jours. Mais lorsque vous voyez les commentaires positifs sous vos vidéos, vous vous dites : 'oh, cette personne comprend ma situation'", explique Brenda Dama au New York Times. Permettant un usage simple et immédiat pour des contenus sensiblement interactifs et potentiellement viraux, la plateforme TikTok semble idéale pour lancer l'alerte. Et il y en a tant à dire : comme nous le rappelle le média, des millions de femmes de ménage, mais aussi d'ouvriers du bâtiment, de ramasseurs d'ordures, ou de livreurs, souffrent à l'unisson d'une précarité absolue. Chaque année, elles seraient 36 000, les nouvelles travailleuses domestiques à se rendre dans les pays du Golfe dans l'espoir d'un meilleur avenir.
"Beaucoup de femmes souffrent ici. La façon dont elles expriment leur dépression, leur stress lié à leur travail, se fait à travers TikTok. Des amies m'envoient des vidéos et des conseils. C'est une sorte de service d'aide", décrit au média américain une travailleuse domestique philippine et TikTokeuse régulière, Merygene Cajoto, 35 ans.
TikTok se fait donc "service d'aide", moyen d'échanges à travers le monde, mais aussi générateur de contenus satiriques. Dans ces créations, musique, comédie et jeux de rôle sont employés afin de tourner en dérision une vie loin d'être supportable. C'est par ces décalages que le message sensibilise d'autant plus l'audience.
Un exercice nécessaire donc, mais qui n'est pas sans risques. S'ils tombent sur ces séquences mises en scène sur le lieu de travail, les employeurs peuvent licencier ces femmes. Mais celles-ci peuvent également faire l'objet de poursuites pénales. Et ce dans un cadre déjà chargé en terme de pressions professionnelles, de menaces et d'intimidations. Publier n'est donc jamais anodin. "Puisqu'il arrive de dévoiler des moments privés au public, il faut rester prudentes", affirme Brenda Dama. Une mobilisation largement soutenue sur la Toile.