Amina Hussein (Anjana Vasan) est sage, très sage. Probablement trop. Toujours souriante, polie, elle suit assidûment un doctorat de biochimie et participe à des oeuvres de charité. Et quand elle n'a pas le nez dans ses éprouvettes, elle écume les applis de rencontres à la recherche d'un mari au poil impeccablement lustré, qui plaira aussi bien à ses parents qu'à sa meilleure amie très tradi. Mais ce qui fait vraiment vibrer Amina au fond, c'est la musique. Dans son placard, elle planque des posters de Janis Joplin et Don McLean et gratouille des airs folks en cachette. Le hic ? Amina est maladivement timide, incapable de monter sur une scène sans vomir ses tripes et avoir le bide en vrac. Et puis la musique, ce n'est pas super "halal" (comprendre : pas le meilleur moyen de trouver un bon parti). Bref, Amina se trouve en bien mauvaise posture, le postérieur entre deux chaises, prise en étau entre traditions et désir inavoué d'émancipation.
Jusqu'au jour où l'étudiante va entrer en collision avec les membres de Lady Parts. Elles bossent à la boucherie, conduisent des Uber, écrivent des bouquins féministes à la gloire des menstruations ou vendent de la lingerie. Et en parallèle, ces punkettes se réunissent en studio pour façonner des hymnes féministes acides saturés de riffs furieux. Et si Amina la geek coincée devenait leur nouvelle et improbable guitariste ?
L'une des plus belles réussites de ce We Are Lady Parts, qui débarque en France sur BrutX après son carton sur outre-Manche ? Ses héroïnes sont voilées et... c'est un non-sujet. Tout simplement.
A mille lieues des stéréotypes trop souvent accolés aux femmes musulmanes, la showrunneuse anglo-pakistanaise Nida Manzoor (Doctor Who, Enterprice) livre le portrait rafraîchissant et impertinent de ces jeunes femmes que l'on ne voit jamais (ou trop peu) à l'écran. Des filles modernes, drôles, impétueuses, solidaires, qui se moquent des carcans, scandent leur colère dans un micro, parlent de cul, portent des tatouages, fument, flirtent, se clashent. Des nanas pluridimensionnelles, hybrides et badass, que la réalisatrice filme d'ailleurs comme une bande de super-héroïnes prêtes à pulvériser (littéralement) toutes les portes.
We Are Lady Parts ne délivre pas de grands messages sur la religion, le voile, le racisme ou la stigmatisation de la communauté musulmane. La série fait au contraire le pari de la légèreté, savoureux mélange de coming of age et de pastiche de rom-com, émaillé de séquences délicieusement kitsch. Car la représentation même de ces personnages sur l'écran est suffisamment puissante et politique pour ne pas sombrer dans le militantisme lourdingue. En offrant cet espace à ces punkettes détonantes pour s'épanouir et s'exprimer, Nida Manzoor envoie valser les clichés du "token", ce rôle secondaire cache-misère réservé aux minorités, que l'on croise au détour de tant de séries.
Ici, les femmes racisées ne sont plus reléguées à la marge : elles sont au coeur de l'histoire et investissent leur place, que ce soit dans la sphère publique, privée ou artistique. Ces drôles d'héroïnes embrassent pleinement leur foi sans que celle-ci ne les définisse ou les réduise. C'est toute l'audace de ce show qui offre enfin aux femmes musulmanes une représentation digne de ce nom, dans toute leur belle complexité. Et on n'avait jamais vu ça jusqu'à présent. Rock on, ladies.
We Are Lady Parts, série de Nida Manzoor
6 épisodes, diffusion dès le 15 septembre sur BrutX