Pourquoi baptiser une rue du nom d'une femme ayant marqué l'histoire quand on peut lui donner celui d'une montagne ? Une question à laquelle le nouveau maire divers-droite d'Elne, dans les Pyrénées-Orientales, n'a visiblement pas trouvé la réponse, pourtant évidente. Résultat, le 29 septembre dernier, lors d'un conseil municipal qu'il présidait, Yves Barniol – élu au printemps dernier à la tête de cette commune de 7 000 âmes – a décidé de débaptiser les rues d'un futur écoquartier qui devait faire hommage à neuf femmes célèbres. Finalement Lucie Aubrac, Mère Teresa, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Olympe de Gouges pas plus que Rosa Parks n'auront donc de rues à leurs noms aux « Portes d'Illibéris ». Dans ce lotissement qui doit prochainement sortir de terre, Yves Barniol, « passionné de montagne », leur a en effet préféré des noms de pics pyrénéens : Canigou, Costabonne, Carlit ou encore Fontfrède.
Du côté de l'opposition, cette décision passe mal, d'autant que c'est l'ancienne majorité qui avait lancé cette initiative avec l'objectif de saluer la mémoire de femmes ayant joué un rôle essentiel dans l'histoire sociale, révolutionnaire, politique et progressiste de leur pays. Mais c'était sans compter l'intervention inattendue de la nouvelle équipe municipale. « Nous n'avons pas débaptisé de rues puisque ce lotissement n'est pas sorti de terre. Nous avons seulement changé une délibération prise juste avant les élections municipales », s'est ainsi justifiée Nadine Julian, élue de la majorité, à France 3 Languedoc-Roussillon. « Pour un écolotissement, on trouvait plus judicieux de donner des noms en rapport avec l'écologie », a-t-elle ajouté, précisant que les noms des femmes évoquées seront « éventuellement attribués aux rues d'un prochain lotissement d'Elne ».
Des explications qui n'ont pas suffi à convaincre Nicolas Garcia, l'ancien maire de la commune de 2001 à 2014. « Je suis choqué, je ne vois pas pourquoi on va débaptiser la rue "Mère Teresa" pour donner le nom du pic de Costabonne, c'est aberrant ! C'est la volonté de casser tout ce qui a été fait avant. Moi j'ai voulu donner le nom d'une rue à Olympe de Gouges qui est une auteure de la Révolution française, qui a été guillotinée en 1793 et qui a fait la déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne », a-t-il réagi sur les ondes de France Bleu, furieux de voir son projet détricoté. Et d'ajouter : « L'idée c'est que les gens s'interrogent : "Tiens, qui était cette femme ?" et d'aller chercher. C'est important ! Ce n'est pas anodin quand on donne des noms de rues. Moi je veux bien qu'on appelle les rues, la rue des noisetiers, la rue des oliviers, la rue des poiriers, c'est très joli ! Mais dans toute œuvre, il faut qu'on fasse de la pédagogie, qu'on transmette des valeurs. Et là, on transmettait à la fois les valeurs et l'histoire à toutes les générations ». En outre, dans un post publié sur son blog, l'ancien élu a fermement condamné « une délibération inacceptable qui n'honore pas celles et ceux qui l'ont voté et qui ne manquera pas de faire réagir les associations de résistants, de déportés, de défense de droits des femmes ».
Bonne nouvelle toutefois, dans son combat pour faire reculer Yves Barniol, Nicolas Garcia vient de trouver des alliés de poids, susceptibles de donner une dimension nationale à une polémique municipale. En effet, dans un communiqué de presse commun, la députée Marie-George Buffet et la sénatrice Laurence Cohen se sont dites « scandalisées » par cette affaire. « D'Olympe de Gouges à Geneviève de Gaulle-Anthonioz ou encore Rosa Parks, toutes ces femmes ont marqué l'histoire », ont-elles en effet rappelé, avant déplorer et de constater qu'en 2014, « les femmes doivent rester invisibles afin d'asseoir une société dominée par les inégalités, les injustices et les dominations ». À l'heure où certaines de ces personnalités historiques s'apprêtent à entrer au Panthéon, il semble qu'un long travail reste encore à faire dans les sphères du pouvoir pour que leur action soit, enfin, unanimement reconnue.