L'affaire est insoutenable. Chaïma était une jeune fille algérienne de 19 ans. Le 3 octobre, son corps a été retrouvé près d'une station-service désaffectée de Thénia, à l'est d'Alger. Elle a été kidnappée, torturée, violée, puis brûlée vive par Bouchenaki Abdeslam, une connaissance de son âge qui a reconnu les faits et admis avoir tendu un piège à sa victime. L'homme la harcelait depuis plusieurs années, et elle avait déjà porté plainte pour tentative de viol, en 2016. Sans que sa déposition n'engage de poursuites.
Elle avait disparu quelques jours avant la découverte de son cadavre. Selon sa mère, elle serait partie retrouver celui qui s'avérera être son bourreau pour mettre un terme à ce harcèlement, détaille TV5 Monde. "Il voulait se marier avec elle et je ne l'ai pas accepté", témoigne-t-elle, en pleurs. Il poignardera Chaïma plusieurs fois avant de l'asperger d'essence et d'y mettre le feu. Une cruauté difficilement entendable. Pourtant, il est nécessaire de ne pas fermer les yeux sur cet énième féminicide.
Si Bouchenaki Abdeslam a été arrêté et placé en détention provisoire par le juge d'instruction pour "viol" et "meurtre avec préméditation avec usage de torture et méthodes barbares", la justice est arrivée bien trop tard. Pour Chaïma, comme pour d'autres.
La faute à une culture du viol systémique et à l'impunité dont profitent de nombreux auteurs de violences sexistes et sexuelles, dénoncent les Algériennes. Notamment à cause de la "clause de pardon", qui figure dans la loi et permet d'annuler les poursuites si l'épouse accorde la clémence à son agresseur. Ou encore de l'article 279 du Code Pénal algérien, qui statue : "Le meurtre, les blessures et les coups sont excusables s'ils sont commis par l'un des époux sur son conjoint ainsi que sur le complice à l'instant où il les surprend en flagrant délit d'adultère."
Leïla Merad, psychologue clinicienne, souligne également le rôle que jouent la société et la famille dans le silence des victimes. "La plupart des familles algériennes ne font pas sentir à la femme battue qu'elle est une victime du fait même d'une conception culturelle qui veut que l'homme 'élève' son épouse", analyse-t-elle auprès de TV5Monde. Depuis le début de l'année, selon le collectif Algérie Féminicides, le pays enregistre 41 féminicides. Un chiffre qui serait cependant bien en-dessous de la réalité selon Narimene Mouaci Bahi et Wiame Awres, initiatrices du projet.
Sur Twitter, les femmes s'indignent : "Combien de Chaïma doivent être victimes de ces actes horribles avant que les enfants et les femmes soient protégés ?". Elles lancent des hashtags, #NousAvonsPerduUneDesNotres et #JusticePourChaïma, afin d'alerter le public et de faire pression sur les autorités, et manifestent dans plusieurs villes le 8 octobre.
Elles condamnent surtout l'inaction des dirigeants : "Je m'appelle Chaima, je n'avais que 19 ans et j'ai été assassinée par la justice de mon pays qui n'a pas pu me protéger", écrit une internaute. "Mon seul péché est d'être une femme dans un pays où les viols, les harcèlements sexuels et les féminicides sont banalisés".
"Nous, actrices algériennes, sommes aujourd'hui unies pour dire stop aux violences faites aux femmes et aux féminicides", protestent plus d'une vingtaine de comédiennes de renom, toutes générations confondues, dans un message et une photo publiés sur les réseaux et repérés par l'AFP. "Nous appelons à la prise de conscience et à la mobilisation générale pour que cesse cette violence !"
Elles posent vêtues de noir, les mains entrelacées face à la caméra, en symbole du deuil des 41 féminicides qu'elles portent. "Cette campagne s'adresse à tout le monde, hommes et femmes. Ce n'est pas pour incriminer les hommes algériens mais pour responsabiliser tout le monde", précise l'actrice Salima Abada.
Elles soutiennent aussi Mounia Benfeghoul, dont les propos en réaction à l'affaire de Chaïma ont suscité une vive polémique. La comédienne avait rétorqué à ceux qui justifiaient les actes du violeur : "On ne trouve pas d'excuses à des violeurs. C'était un viol ! Elle n'était pas consentante !", et plaidait pour l'éducation des enfants et la levée des tabous, plutôt que la surveillance des filles. Elle se déclarait également contre la peine de mort, alors que les crimes sexistes relancent le débat autour de la peine capitale.
S'en est suivi un torrent d'insulte en ligne. "Elle a confirmé ce que l'on sait déjà, que les tabous dans la société algérienne sont à l'origine du silence autour des viols, de l'inceste et de la pédophilie. Il n'y a que la vérité qui blesse", commente de son côté le présentateur de la station Web Radio Corona Internationale (RCI), Abdallah Benadouda, sur Facebook.
Ce silence empêche probablement l'élaboration de statistiques officielles sur les violences faites aux femmes en Algérie. En 2019, plus de 7000 plaintes ont été enregistrées d'après la Direction générale de la sécurité nationale, ajoute l'Agence France-Presse. Depuis la découverte du corps de Chaïma, ceux de trois autres femmes ont également été trouvés. Une réalité effroyable qui appelle à un changement immédiat.