les audacieuses
Les tips pro/perso de Kelly Njiké, créatrice des cosmétiques Melayci
Publié le 12 mai 2021 à 17:04
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Partant du constat que les femmes de couleur étaient bien trop oubliées par l'industrie de la beauté, Kelly Njiké a décidé de créer sa propre marque de cosmétiques, Melayci, conçue pour les peaux noires, mates et métisses. Quel a été son parcours ? Comment arrive-t-elle à concilier ses mille et une vies ? L'entrepreneuse nous livre ses conseils et ses inspirations.
Kelly Njiké, créatrice des cosmétiques Melayci Kelly Njiké, créatrice des cosmétiques Melayci© Melayci
La suite après la publicité

La France a beau être leadeur mondial dans le secteur de la cosmétique (15 milliards d'euros de chiffres d'affaires), l'industrie est à la traîne dans le domaine de la diversité. Car le secteur cible obstinément les femmes blanches, invisibilisant les femmes de couleur en manque de produits spécifiques et de représentation. C'est en se basant de ce constat que Kelly Njiké a décidé de franchir le pas, inspirée par sa propre trajectoire et l'essor du marché à l'international.

Son Master marketing et publicité en poche, la jeune cheffe de produit a décidé de se lancer dans l'aventure entrepreneuriale. Elle a ainsi créé sa propre marque de cosmétiques : Melayci (mix de "Melanin" et "Legacy"). Son ambition ? "Valoriser et célébrer les beautés noires, mates et métisses" en proposant des produits vegan spécialement conçus pour elles. Après une campagne de crowfunding réussie en 2019, Melayci a donc vu le jour et s'apprête à se développer : alors que Kelly Njiké propose d'ores et déjà une jolie collection de rouges et de crayons à lèvres, elle fourmille d'idées pour enrichir sa gamme.

Nous avons interrogé l'entrepreneuse de 29 ans sur ce secteur de la beauté encore trop peu inclusif, sur son parcours et ses astuces pour gérer son business.

Terrafemina : Quel a été le déclic pour créer votre marque ?

Kelly Njiké : Mon plus grand déclic a été mon histoire personnelle. Une histoire que j'aime raconter car elle a été pour moi un des éléments déclencheur de mon projet.

Pendant de nombreuses années, j'ai caché mes cheveux crépus afros en utilisant des produits chimiques et nocifs (notamment les produits défrisants) et autres techniques en tout genre, qui les ont maltraités. Je ne les assumais pas car pour moi, le standard de beauté assimilé depuis toute jeune était celui d'un cheveu très long et lisse. Enfant, les remarques et moqueries dans la cour de récréation semblaient le confirmer. La non-représentation de femmes me ressemblant dans les magazines et les plateformes de beauté me confortait aussi dans cette idée.

En 2016, après un voyage aux Etats-Unis qui m'a ouvert les yeux sur l'acception de soi, j'ai réalisé ce que l'on appelle "un big chop", la transition d'un cheveu défrisé à un cheveu naturel. Cette histoire m'a permis d'embrasser les valeurs d'affirmation de mon identité, de mon héritage et a complètement boosté mon estime et ma confiance en moi. C'est seulement à cette époque que j'ai pu découvrir la beauté de mon cheveu, apprécier sa texture, apprendre à en prendre soin. Je me suis tout simplement révélée. Il y a des centaines de façon de se révéler, la mienne a été par le biais de mon cheveu, ce beau cheveu afro, crépu faisant partie intégrante de mon identité. Et c'est aussi l'histoire de milliers de femmes noires.

Etant une grande passionnée de l'univers de la beauté, j'ai imaginé une marque qui transmettrait des messages, mettrait en valeur et sublimerait la beauté de la femme mais surtout celle de la femme noire, métisse, mate longtemps oubliée.

En 2018, agacée de voir le marché français se développer lentement sur la question de représentation et face à une demande forte et présente, je me suis sentie prête à me lancer. Les prémices du concept Melayci sont partis de là.

Rouges à lèvres Melayci © Melayci
Les inégalités et le manque de représentations des personnes racisées sont frappantes dans le domaine de la beauté.

K.N. : Effectivement, il y a encore selon moi un gros travail à faire sur la question de représentation de la femme noire. Le fait est que nous avons pendant très très longtemps été oubliées dans cette industrie. A l'époque, nous avons dû nous adapter dans une ère où les diktats de la beauté ne visaient que certains types de femmes (essentiellement caucasien), invisibilisant totalement les femmes noires. Dans les magazines ou les campagnes de beauté, il a toujours été très difficile de s'identifier, ne trouvant pas de femmes qui nous ressemblent. Ceci a participé à créer des "standards de beauté" nous donnant la sensation de ne pas être acceptées.

Lorsque j'ai interrogé 200 femmes durant mon étude de marché terrain, 80% d'entre elles affirmaient que l'offre était limitée en France et qu'il était difficile de trouver des produits qui leur correspondent parfaitement. C'est beaucoup trop ! Ces mêmes femmes avaient souvent tendance à se tourner vers les Etats-Unis pour acquérir des produits adaptés, lors de voyages par exemple.

On commence petit à petit à prendre un autre tournant, souvent boosté par des marques américaines ou de jeunes marques et initiatives d'entrepreneur·se·s afro-descendantes qui ouvrent la voie répondent à cette problématique, valorisent les beautés noires, proposent de super concepts et participent à la prise de conscience générale.

De plus, aujourd'hui, la donne a complètement changé. On évolue clairement vers une affirmation de ses origines et de sa beauté. Un tournant grandement insufflé par les réseaux sociaux où les consommateurs expriment clairement leur besoin de diversité. Cependant, les changements restent tout de même assez lents.

Pour continuer dans cette démarche de représentation, l'une des solutions serait aussi de multiplier les embauches des personnes issues de la diversité dans l'industrie. Le "pullupforchange" lancé par Sharon Chuter, fondatrice de Uoma Beauty, a montré les fortes disparités des équipes au sein des plus grands groupes ! L'évolution de l'industrie passe aussi par là. Si on veut faire bouger les choses, il faut le faire à fond.

Expliquez-nous le concept de Melayci.

K.N. : Melayci est une marque de cosmétiques fondée pour répondre à un besoin de représentation des beautés noires, métisses, mates notamment sur le marché français. Au quotidien, nous encourageons, motivons, rassurons sur l'affirmation de soi, l'estime de soi, l'acceptation de soi, la confiance en soi, la fierté de ses racines, de sa culture et de son héritage.

L'esprit de famille est un autre aspect très important de la marque. Nous développons une vraie communauté de femmes-soeurs qui échangent, collaborent, se soutiennent, partagent et célèbrent ensemble. Melayci se veut être une marque accessible, aussi bien destinée à l'adepte et experte makeup qu'à la femme qui n'ose que peu et qui a besoin qu'on la rassure à travers nos mots, nos visuels dans lesquelles elle se projette aisément.

L'objectif ? Gommer les idées reçues et participer à l'évolution d'une industrie plus représentative. Le concept plaît énormément et séduit aujourd'hui de nombreuses femmes noires mais pas que : nous sommes une famille diversifiée (peaux noires, métisses, mates, blanches, asiatiques) et nous en sommes fières.

En quoi ces produits sont-ils spécifiquement adaptés aux femmes de couleur ?

K.N. : La principale problématique rencontrée par les femmes noires, métisses et mates dans un produit de maquillage est l'absence d'intensité dans les couleurs. Prenons l'exemple des lèvres : les femmes peuvent avoir des lèvres plus ou moins rosées, plus ou moins noires, parfois bicolores comme les miennes. Dans notre cas, il est bien souvent difficile de trouver une couleur adaptée, pigmentée, lumineuse. La plupart des cas, nous avons besoin d'effectuer de nombreux passages et applications pour espérer obtenir la couleur que l'on voit sur le raisin du rouge à lèvres avant application.

Deuxième point, les peaux noires sont particulièrement sèches et nécessite un grand besoin d'hydratation. Nous avons donc travaillé la formule (enrichie aux extraits d'écorces de magnolia ou huile de jojoba) de nos rouges à lèvres et crayons à lèvres dans le but de répondre à ces deux besoins. Et nous avons aussi beaucoup capitalisé sur la pigmentation.

Le challenge sera tout aussi important lorsque l'on s'attaquera à d'autres catégories comme les yeux ou surtout le teint : les carnations sont très très nombreuses ! Il faut que tout le monde y trouve son compte. J'ai hâte de relever le défi.

Quel·le·s ont été vos allié·e·s dans votre parcours pro ?

K.N. : Mon entourage m'a énormément encouragée à aller au bout de mon idée avec énormément de bienveillance. Il y a aussi mes fournisseurs qui ont cru au projet et qui m'ont accompagnée afin de créer le produit que j'avais imaginé. Et bien sûr les contributeur·rice·s de ma campagne de crowdfunding et la communauté Melayci : elles et ils sont tout simplement extraordinaires, investi·e·s et incroyablement motivé·e·s pour apporter du soutien quotidiennement à la marque. Je ne les remercierai jamais assez.

Avez-vous rencontré des freins sur votre parcours ?

K.N. : Je ne dirais pas que l'exemple qui va suivre est lié à du sexisme ou du racisme, je n'en sais trop rien. Je dirais que je regrette un manque d'ouverture d'esprit.

J'ai toujours rêvé de travailler dans un grand groupe de cosmétiques pour y faire mes preuves et apporter un peu de ma vision. Mais malgré mon parcours en marketing développement justifié par plusieurs années d'expérience, je n'ai obtenu que des refus sur des centaines de candidatures envoyées et je crois même ne jamais avoir décroché un seul entretien dans le domaine. Je trouve ça dommage.

Mais je ne me suis pas découragée et cela m'a même encore plus motivée à entreprendre. Mettre mes compétences, ambitions et visions au service de ma propre marque de cosmétique a été une super décision et j'en suis très fière !

Selon vous, quelles sont les qualités essentielles pour réussir à aller au bout de ses projets ?

K.N. : Premièrement, il faut croire très fort en son projet et être animé·e par celui-ci. La motivation, la persévérance, l'ambition, la positivité et la passion constituent pour moi les facteurs-clés pour gravir les étapes du projet jusqu'à réalisation. En tant qu'entrepreneuse, les humeurs sont souvent changeantes, et on a souvent parfois l'impression de faire un pas en avant puis dix en arrière. Sans ces facteurs-clés, c'est difficile de garder le cap et de continuer la course aux objectifs.

Selon moi, il est tout important aussi d'être à l'écoute de son marché, de son environnement et savoir s'entourer des bonnes personnes. Il ne faut pas avoir peur de faire appel à des expert·e·s concernant certains aspects du projet que l'on ne maîtrise pas.

Et puis la formation est importante aussi. Il ne faut pas hésiter à enrichir ses connaissances.

Quelle faiblesse avez-vous su transformer en force ?

K.N. : Ma force de persuasion et ma confiance en moi. J'ai démarré l'exercice lorsqu'il a fallu défendre mon projet auprès des banques, essuyer les refus et trouver la force de ne pas lâcher, de ne pas me démotiver pour mener a bien mon projet. J'ai travaillé sur ces aspects-là en m'entraînant à "pitcher" mon projet avec l'aide de mes proches.

C'est toute cette énergie que j'ai mis dans ma campagne de crowdfunding pour convaincre les contributeurs en 30 jours d'adhérer à la marque. Aujourd'hui, je suis plutôt à l'aise, et je continue à travailler dessus pour me surpasser. J'ai une super coach en développement personnel qui m'accompagne dans tout ça, c'est vraiment top de (ré)apprendre à se connaître.

Les cosmétiques Melayci © Melayci
Vos indispensables pour concilier vie pro et vie perso ?

K.N. : Pour ma part, je vote pour l'organisation afin de gagner du temps. Je planifie mes journées et mes semaines. Par exemple, les réseaux sociaux prennent 60% de mon temps consacré à Melayci car la stratégie de la marque est essentiellement basée sur le digital. Et cela demande beaucoup d'investissement.

Pour ne pas être débordée, j'utilise des applis comme Planoly. Elle me permet de voir en avance à quoi ressemblera le feed Instagram, de travailler sur mes posts et de les programmer en avance. La gestion des réseaux sociaux débordent sur mon temps perso, ne nous mentons pas, mais la programmation aide pour beaucoup.

Je tiens également une to-do list avec des ordres de priorités. Mon application "Notes" de mon téléphone est aussi un indispensable pour noter tout ce qui me passe par la tête et pouvoir revenir dessus plus tard.

Vos réflexes pour vous ressourcer et recharger vos batteries ?

K.N. : La méditation est aussi un excellent remède. Elle me permet de m'aérer l'esprit, de me sentir bien pour justement trouver un bel équilibre. C'est une véritable arme contre le stress. Je pratique aussi autant que possible la pensée positive.

Il faut savoir s'octroyer des temps de pause et couper. Ce n'est pas toujours évident de sortir la tête de son projet mais recharger les batteries est nécessaire pour être encore plus performante : sorties avec des amis, activités sportives, dormir...

Mon réflexe lorsque j'ai un coup de mou ou la tête pleine : changer d'air. J'aime enfiler mes baskets et marcher seule, en musique ou avec une amie. Du côté de chez moi, il y a beaucoup d'espaces verts et d'endroits sympas qui permettent de déconnecter et se ressourcer.

Les femmes qui vous ont le plus inspirée dans votre vie ?

K.N. : Sans hésitation, la première femme qui m'a la plus inspirée est ma mère. C'est mon premier exemple et je serai toujours autant impressionnée pour son côté battant et persévérant, elle a relevé tant de défis, je suis très admirative et reconnaissante pour toutes les valeurs qu'elle m'a inculquée.

Et j'aime beaucoup Oprah Winfrey pour son parcours, la force qu'elle a démontré pour bâtir un grand empire malgré que la vie ne lui a pas toujours sourit plus jeune : une enfance très difficile, des abus sexuels, très peu de moyens. Son aura est tout simplement magique, elle a cette capacité à nous faire entendre que tout est possible, elle est pleine de bonnes actions et opère dans de nombreux domaines (caritatifs, représentation de la communauté noire, racisme, empowerment et plus encore). Elle m'a beaucoup inspirée dans ma vision et mon ambition pour ma marque.

Votre dernier moment d'audace ?

K.N. : A la mi-octobre 2020, j'ai organisé une campagne pour Noël avec peu de budget compte tenu de la crise sanitaire, très peu de visibilité sur les comportements des clients sur cette occasion, avec la contrainte des masques en vendant du rouge à lèvres, le tout en moins d'un mois.

Ce fut ultra-challengeant de trouver des idées sympas en si peu de temps, au final c'est une campagne qui a été très bien accueillie et qui a générée le plus gros de notre chiffre d'affaire. Cela valait le coup.

Quels seraient vos conseils pour d'autres futures entrepreneuses ?
  • OSEZ ! N'aillez pas peur de rêver grand.
  • Apprenez à vous écouter et à écouter l'autre, votre environnement.
  • Faites des choses que vous aimez et armez-vous de patience.
  • Trouver des sources de motivation quotidiennes. Fixez-vous des objectifs et célébrez toutes les victoires aussi petites soient-elles.
  • Investissez dans votre développement personnel (recherches, formations, conférences, coaching).
  • Networkez, créez et développez votre réseau.
  • Et surtout, appréciez les beaux moments de la vie auprès des vôtres (famille, amis, entourage), elles et ils sont si précieux.
Mots clés
les audacieuses News essentielles diversité Beauté vie pro-vie perso Carrière créer une entreprise travail Femmes engagées
Sur le même thème
Les articles similaires
Demi Moore "méconnaissable" ? La star de "The Substance" accusée d'être hypocrite quand elle critique la chirurgie play_circle
cinéma
Demi Moore "méconnaissable" ? La star de "The Substance" accusée d'être hypocrite quand elle critique la chirurgie
23 octobre 2024
"C'est pour ma femme !" : la cycliste lesbienne Marie Patouillet remporte la première médaille française des Paralympiques play_circle
Société
"C'est pour ma femme !" : la cycliste lesbienne Marie Patouillet remporte la première médaille française des Paralympiques
30 août 2024
Dernières actualités
Lindsay Lohan méconnaissable et en bonne santé, ses fans attribuent le mérite à son mari play_circle
people
Lindsay Lohan méconnaissable et en bonne santé, ses fans attribuent le mérite à son mari
20 novembre 2024
Pour Noël, ce sex symbol des années 90 fait son retour sur nos écrans play_circle
television
Pour Noël, ce sex symbol des années 90 fait son retour sur nos écrans
20 novembre 2024
Dernières news