Album visuel, ou "long-métrage musical", c'est selon. Les intitulés s'alignent pour désigner la dernière création de Beyoncé : Black is King. Fidèle à ses ambitions d'entrepreneuse multi-casquettes, "Queen B" en est l'autrice, la réalisatrice, la productrice - excusez du peu. Black is King est en réalité une suite de clips inscrits dans l'univers du Roi Lion, suite aux sorties simultanées du remake du fameux film d'animation signé Jon Favreau, où joue l'artiste, et celle, l'an dernier, de son album The Lion King : The Gift. Et depuis le 31 juillet dernier, on peut visionner ce récit de voyage et d'initiation pour enfants sur la plateforme de streaming Disney +.
Mais pour bien des voix, Black is King n'a rien d'un simple dérivé estampillé Disney, loin de là. Un récent décryptage du magazine culturel Spin voit en ce musical une célébration de l'empowerment noir tel que l'a toujours envisagé Beyoncé. Une oeuvre qui démontre son impact sur la pop culture actuelle.
Pourquoi ? Car Beyoncé met à l'honneur des cinéastes ghanéens - ici co-réalisateurs - comme Kwasi Fordjour, Emmanuel Adjei, Blitz Bazawule et Ibra Ake (le cerveau derrière l'incroyable clip "This Is America" de Childish Gambino), mais aussi un imaginaire stylisé - coiffures, costumes - impressionnant assuré là encore par des créatrices et créateurs noirs : stylistes, couturiers, couturières, conceptrices de bijoux... Sans oublier les mégastars qui contribuent à la fête, de Pharell Williams à Naomi Campbell.
Mais cette ode inclusive et mélodieuse à la culture noire ne convainc pas tout le monde. Pire encore, l'iconographie de Black is King suscite même la polémique, quelques jours seulement après sa mise en ligne.
Une réticence cristallisée par cette analyse pointue du site Essence. L'espace d'un billet d'humeur, l'autrice burundaise Judicaelle Irakoze accuse l'oeuvre de "romantiser l'Afrique pré-coloniale". Le recours à la fiction lui semble très peu "empouvoirant". "Les royaumes africains étaient en proie à l'esclavage, à l'impérialisme, à l'oppression des femmes et à l'oppression de classe. Tout le monde n'était pas roi ni même reine !", fustige l'écrivaine. Difficile de le nier. Pour l'artiste militante, l'oeuvre de Beyoncé exploiterait avant tout "des imaginaires enracinées dans le regard blanc", sans forcément les contester.
Au contraire même, Black is King serait avant tout la démonstration d'une "Afrique glamour" éloignée des réalités historiques... Et d'un véritable discours politique. "On pourrait presque se demander si les Africains restent des humains dignes de ce nom quand ce ne sont pas des rois et des reines, drapés d'or et de diamants", ironise encore l'autrice. Pour Judicaelle Irakoze, ce post-Roi Lion, bien que spectacle "riche et beau", serait plus proche "du capitalisme" occidental que de la communauté noire - et pas vraiment opposé à l'oppression de cette dernière.
Des critiques acides qui perdurent sur le web, atteste Paris Match. Certains internautes parlent même de "Wakandafication", clin d'oeil au Wakanda, le royaume imaginaire exploré dans le giga-succès Black Panther. Un internaute fustige : "Quelqu'un peut-il dire à Beyoncé que l'Afrique n'a pas qu'une culture et que nous sommes des gens normaux ?". Bref, l'on reproche à l'interprète sa vision, jugée bien trop fantasmagorique.
Mais là encore, les défenseurs de Queen B rétorquent. Au fil d'un éditorial mis en ligne sur Teen Vogue, l'écrivain Timmhotep Aku défend l'artiste afro-américaine et, surtout, son choix de casting salutaire : "l'Afrique savamment conçue de 'Black Is King' n'est pas censée être prise au pied de la lettre. Comme elle l'a fait dans le passé, Beyoncé a avant tout décidé d'enrôler une petite armée de créateurs et d'interprètes, dont beaucoup sont d'origine africaine, pour l'aider à mettre en oeuvre sa vision d'une lettre d'amour inspirée du 'Roi Lion' à son peuple, à son lieu d'origine et aussi à ses ancêtres", décrypte l'auteur.
Alors, Black is King, production engagée ou poudre aux yeux ? Vous pouvez toujours tenter l'expérience...