Dans un article pour Vice, la militante anti-grossophobie Corps cools est partie d'un constat : "Je suis tombée enceinte trois fois. Trois grossesses non-désirées. Et ce, malgré la prise d'une contraception d'urgence, ou pilule du lendemain, les trois fois." Des expériences à répétition qu'elle finit par interroger : "Comme je n'ai jamais pris le sujet de la contraception à la légère, j'ai toujours trouvé ça un peu bizarre d'avoir vécu trois fois ce truc." Elle explique les mettre sur le compte d'une "super fertilité", d'un "désir inconscient de grossesse" ou d'un manque de chance.
Et puis, elle se rend compte devant une série (l'incroyable Shrill, d'Alexandra Rushfield) que la raison pourrait être toute autre : la baisse d'efficacité de la pilule du lendemain chez les femmes grosses. Dans une scène, "une pharmacienne explique que la contraception d'urgence ne fonctionne pas bien sur les corps de plus de 75 kilos", explique-t-elle. "Pardon ?"
Elle résume, sidérée : "J'apprends dans une série télé, à 29 ans et après trois avortements, que la pilule du lendemain ça ne marche pas vraiment sur les gros·ses. Alors que clairement, c'est assez flagrant que je pèse bien plus que 75 kilos – comme un tas de gens d'ailleurs. Ça m'a rendue un peu zinzin."
Elle entame alors une enquête rigoureuse pendant laquelle elle questionne le corps médical mais aussi les personnes grosses qui la suivent sur les réseaux sociaux. Elle épluche les notices, le site de la Haute autorité de santé, et fait chou blanc : "Rien n'est précisé à ce sujet à l'exception, parfois, de cette mention qui me laisse sur ma faim : 'Poids corporel ou IMC élevés : données limitées mais non concluantes d'une baisse d'efficacité'. Et ce pour les deux molécules utilisées : l'Ulipristal acétate (EllaOne) et le Lévonorgestrel (Postinor, NorLevo, Lévonorgestrel Biogaran)."
L'activiste découvre alors les travaux de la gynécologue et endocrinologue parisienne J. Berdah dans la revue indépendante Prescrire, où la spécialiste indique une "diminution claire de l'efficacité contraceptive quand l'IMC augmente", observe-t-elle. "Avec le Lévonorgestrel acétate, les personnes ayant un IMC supérieur à 26 ont 2,09 fois plus de chances de tomber enceinte que les personnes ayant un IMC dit 'normal'. Et 4,41 fois plus de chance pour les personnes avec un IMC supérieur à 35. Avec l'Ulipristal, on parle respectivement de 0,97 et 2,62 fois plus de chance de tomber enceinte malgré la prise." Des chiffres effarants.
Elle constate ensuite, après un entretien avec une gynécologue médicale, que "les recommandations françaises du CNGOF (Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français) parlent bien de la contraception d'urgence dans ce contexte et avancent les mêmes chiffres. Et les deux articles recommandent la pose d'un stérilet (DIU) dans les cinq jours qui suivent un rapport non protégé comme moyen de contraception d'urgence pour les personnes grosses."
La pilule du lendemain ne serait donc pas suffisante. "J'avais mes réponses", conclut l'instigatrice de Corps cools.
Pour étayer ses propos, la militante lance un sondage sur Instagram en s'adressant uniquement aux personnes de 75 kilos et plus. 700 lui répondent. "11% sont déjà tombées enceinte malgré la prise d'une contraception d'urgence. 85% affirment n'être pas au courant du manque d'efficacité de la pilule d'urgence pour les personnes de plus de 75 kilos. 92 % affirment n'avoir pas été informées du possible manque d'efficacité de leur contraception d'urgence par la personne qui leur a vendu la pilule. 96% affirment que même lors de l'interruption de grossesse qui a suivi, on ne les en a pas informées."
Parmi le peu de personnes déjà informées à ce sujet, la majorité dit "l'avoir appris sur des comptes militants et les réseaux sociaux, mais très peu citent leur médecins traitant·es, gynécos ou pharmacien·nes". Elle insiste toutefois : "L'idée n'est absolument pas d'être alarmiste ou complotiste", rappelant qu'elle a sûrement eu "pas mal de poisse" et que l'efficacité de la contraception d'urgence reste, "a priori", supérieure à 95 %.
D'autres facteurs sont également à prendre en compte : les personnes avec un IMC supérieur à 25 sont souvent exclues des études cliniques sur les contraceptifs, affirme-t-elle. Et les femmes grosses sont aussi moins enclines à consulter un·e médecin pour leur contraception.
En partie en cause ? La grossophobie médicale, qui est une "réalité violente". "Internet regorge de récits terribles à ce sujet : préjugés à l'encontre des gros·ses, matériel inadapté, violences, humiliations, infantilisation et parfois même, erreurs de diagnostic..." énumère-t-elle. Des maltraitances notamment liées au manque d'intérêt de la médecine pour les patient·e·s gros·se·s, qui engendrent des conséquences gravissimes. "On n'a absolument pas les mêmes droits médicaux", dénonce-t-elle.
Enfin, l'activiste termine : "J'espère que ce papier vous permettra d'ouvrir le dialogue avec vos médecins et d'avoir toutes les clés en mains pour faire, si besoin, le choix le plus pertinent pour vous". Et confie : "J'aurais voulu savoir ce qui se jouait pour faire le choix le plus pertinent pour moi et peut-être m'éviter ces expériences. Ou au mieux, m'y préparer." Une enquête passionnante et révoltante à lire, et surtout à partager.