Faisons le point : en théorie, la pilule du lendemain est un contraceptif d'urgence. On peut la prendre après un échec de la contraception (accident de préservatif, oubli de pilule, rapport non protégé...) ou un abus sexuel pour se prémunir contre une grossesse non désirée. Elle est efficace jusque 3 jours après le rapport sexuel, même si son efficacité diminue au fil du temps (98% dans les 72 heures suivant le rapport, 56% ensuite). Nous avons toutes le droit à ce contraceptif d'urgence, et il est obligatoirement gratuit pour les mineures depuis 2002 sur la simple déclaration de leur âge, sans qu'elles aient à le prouver en montrant leurs papiers d'identité, afin de garantir le respect de leur anonymat.
En pratique... ça se complique, comme le révèle le reportage de la journaliste et féministe Sarah Constantin pour l'Autre JT. Elle suit une mineure de 16 ans dans différentes pharmacies de Paris pour vérifier s'il est vraiment facile de se procurer la pilule du lendemain. Sur les 15 officines testées, deux refusent de lui donner gratuitement, bien que cela soit obligatoire légalement. Une pharmacienne réclame sa pièce d'identité pour s'assurer qu'elle est mineure, un autre s'exclame : "Ah oui, mais je peux pas moi, la Sécu va me poser des problèmes". Plusieurs tentent d'effrayer la jeune fille avec des discours alarmistes lui prédisant des problèmes de stérilité ou d'embolie pulmonaire.
Lorsque la journaliste demande au pharmacien s'il préfère que la jeune fille subisse une IVG plutôt que de lui prescrire la pilule du lendemain, le pharmacien, très sûr de lui, répond : "Non, je préfère qu'elle fasse attention et qu'elle ne prenne pas ça tous les 15 jours, vous comprenez ?". Le pharmacien d'un petit village en Aquitaine refuse même de vendre tout produit touchant à la contraception (stérilets, préservatifs, pilules, pilules du lendemain) dans sa pharmacie. La journaliste nous apprend qu'il a déjà été traduit en justice quatre fois pour ces raisons. En 1996, il déclarait à son procès "refuser de vendre des contraceptifs abortifs chimiques" et devrait enfin être suspendu le 2 mai. Et ce n'est pas le premier témoignage relatant les difficultés qu'il peut y avoir avec certains pharmaciens pour obtenir une pilule du lendemain.
Ces quelques extraits du reportage de l'Autre JT ont de quoi faire froid dans le dos. Cela met en avant le climat de crainte et de honte qui entoure encore la pilule du lendemain en France, malgré les efforts de l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et des plannings familiaux pour la démocratiser. Il montre bien à quel point sa diabolisation vient surtout d'une méconnaissance générale qui est largement encouragée par ses opposants mais aussi par des professionnels de la santé, qui pensent bien faire en dissuadant les jeunes filles de récidiver.
La pilule du lendemain est pourtant totalement inoffensive comme l'a rappelé l'OMS dans son rapport en février 2016. La stérilité ou l'embolie pulmonaire qu'elle est censée pouvoir provoquer font partie des nombreux mythes qui circulent sur la contraception et lui nuisent fortement : "Prises seules en contraception d'urgence, les pilules au lévonorgestrel et à l'ulipristal sont sûres, ne provoquent pas d'avortement et n'ont pas d'effets nocifs sur la fécondité future. Les effets secondaires, semblables à ceux des autres contraceptifs oraux, sont rares et en général bénins", stipule le rapport de l'OMS. Même prise plusieurs fois au cours d'un même cycle, elle n'est pas dangereuse mais peut entraîner un retard de règles. Ce n'est pas non plus un médicament abortif : elle ne provoque pas d'avortement, mais retarde juste l'ovulation pour empêcher la fécondation par les spermatozoïdes. D'où l'importance de la prendre le plus vite possible.
Ce reportage nous rappelle que militer pour la pilule du lendemain ne revient pas à prôner le droit à l'"irresponsabilité", mais à l'"accident". Obtenir une contraception d'urgence ne devrait pas se transformer en parcours du combattant ou se faire dans un climat de honte et de peur. Si elle est en théorie libre d'accès depuis 1999, il y a encore du chemin à parcourir pour la libérer des préjugés qui l'accablent. La phrase de Simone de Beauvoir citée par Sarah Constantin à l'issue de son enquête résume bien la situation : "N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devez rester vigilante votre vie durant". La pilule la plus dure à avaler, c'est que cette phrase soit toujours autant d'actualité, comme le prouve une nouvelle fois ce débat.