Véronique Séhier : Le premier combat du Planning Familial portait sur le droit des femmes à disposer de leur corps et de pouvoir décider si elles voulaient être mères ou non. Donc la contraception et l'avortement, voilà ce qui fait l'ADN du Planning Familial. Ces droits sexuels sont des fondamentaux - bien que beaucoup de personnes aient du mal à les reconnaître comme tels – qui conditionnent l'égalité entre les femmes et les hommes. Je pense que le combat du Planning est toujours d'actualité parce qu'au-delà de la possibilité d'avoir accès à une contraception et à l'avortement, qui sont des choses qui ont évolué en France, il y a toute la question des rôles sociaux qui sont derrière, toute la question de l'assignation qui concerne autant les femmes que les hommes. Le Planning Familial montre encore aujourd'hui aux femmes qu'elles ont la possibilité de choisir la vie qu'elles veulent mener et la carrière qu'elles veulent faire. Et ce droit de choisir est toujours à revendiquer parce qu'on voit bien qu'aujourd'hui la question de l'égalité des sexes continue d'ennuyer beaucoup de monde. Notre combat est vraiment politique. Car les inégalités entre les femmes et les hommes, c'est aussi un travail de lutte contre les inégalités sociales et économiques.
Véronique Séhier : Aujourd'hui, nous touchons environ 520 000 personnes. Nous avons 76 associations départementales qui sont réparties sur l'ensemble du territoire, qui sont des lieux d'accueil où les gens peuvent venir chercher des informations sur la contraception et l'avortement, mais où ils peuvent simplement venir parler ou poser des questions. Ce sont des lieux qui sont bien repérés. On a tous les âges, mais c'est vrai que les jeunes représentent toujours une grande partie de notre public. Nous recevons beaucoup de mineurs qui viennent bénéficier de services gratuits et anonymes comme la contraception. Car lorsqu'on est mineur, on peut avoir envie de venir chercher une information dans un lieu confidentiel, parce qu'on n'a pas forcément envie de discuter de sa vie sexuelle avec ses parents. Aujourd'hui, notre public se compose environ de 47% de personnes mineures et de 53% de personnes majeures, majoritairement des jeunes âgés de 18 à 25 ans.
Véronique Séhier : En fait, le Planning Familial reçoit des subventions de l'État. Mais en 2009, monsieur Brice Hortefeux avait décidé de baisser très fortement ces subventions qui ne sont déjà pas bien énormes, c'est-à-dire aujourd'hui 2,7 millions d'euros pour l'ensemble de la France. Il y avait donc eu une très forte mobilisation de la part de l'association mais aussi du public. Donc on reçoit effectivement un financement de la part de l'État pour tout ce qui touche aux questions d'information, mais nous touchons aussi des financements qui dépendent le plus souvent des collectivités territoriales. On en a beaucoup parlé au moment des élections régionales d'ailleurs puisque Marion Maréchal-Le Pen avait dit vouloir couper ces subventions-ci.
V.S. : Marion Maréchal-Le Pen s'est attaquée au fait que nous soyons une association politisée. A partir du moment où on a un projet de transformation sociale qui vise l'égalité entre les sexes et les sexualités, ça veut dire qu'on lutte contre les inégalités, donc c'est un projet politique, et donc ça dérange du monde. On voit bien aujourd'hui que l'égalité des droits dérange les partisans de la Manif pour tous qui défendent la supériorité de l'hétéronormalité par rapport aux autres sexualités.
Aujourd'hui, les questions d'égalité entre les femmes et les hommes constituent un noyau dur sur lequel il faut se battre, même si les lois avancent. On ne peut pas nier qu'en 60 ans, les lois aient avancé en France, mais on ne peut pas nier que dans certains endroits, elles aient toujours du mal à être appliquées. Par exemple, quand on parle de l'accès à la contraception, on sait que certains conseils départementaux ont une vraie politique de développement d'accès à la contraception pour les mineurs, tandis que pour d'autres, ce n'est absolument pas une priorité, peut-être aussi parce que le regard porté sur la sexualité des jeunes dérange.
V.S. : Eh bien, on est touché de très près. Ces personnes que j'appelle des "anti-choix" s'opposent à la liberté des femmes. Car c'est ça qui est fondamental. Ce combat que nous avons mené c'est la liberté des femmes de choisir. Et il y en a qui voudraient que les femmes n'aient plus cette liberté. Ils reviennent à cette complémentarité entre la femme et l'homme, la femme étant bien sûr enfermée dans le rôle de mère et de femme au foyer. On voit d'ailleurs bien chez certains politiques la volonté de faire rentrer les femmes à la maison. Ces "anti-choix" qui prônent ces valeurs-là, s'attaquent bien sûr à la contraception et à l'avortement essentiellement. En fait, ils ne sont pas si loin que ça d'ici en Europe, parce qu'ils sont très présents au niveau du Parlement européen et dans certains lobbies et ils voudraient restreindre l'accès à l'avortement. Certains pays l'ont déjà fait, je pense à la Pologne, la Hongrie, à l'Irlande, à Malte où les femmes ont de grandes difficultés pour pouvoir avorter. Quand on est une femme européenne on n'a pas accès aux mêmes droits selon l'endroit où on vit. On a bien vu aussi combien ces droits avaient été remis en Espagne ou au Portugal. Donc on voit bien que ce qui se passe aux États-Unis est aussi présent en France. Pas encore sous cette forme-là mais les lobbies conservateurs et religieux qui s'opposent à la possibilité pour les femmes de choisir sont aussi présents en Europe et nous savons qu'ils ont été très présents lors de la Manif pour tous.
V.S. : C'est un de nos combats. On essaie de lutter de plusieurs façons : d'abord en insistant beaucoup auprès du gouvernement pour qu'il mette en place une information à la hauteur des besoins que l'on a en France. Vous avez donc maintenant le site IVG.Gouv.fr qui existe et qui est souvent remis à jour. Nous avons aussi fortement bataillé pour que puisse exister un numéro vert national qui informe sur la sexualité, la contraception et l'avortement (0800 08 11 11), et qui donne une information qui soit juste et non tronquée. Et puis, nous avons aussi créé le site IVG.PlanningFamilial.fr, qui a pour but de déconstruire toutes les idées reçues sur l'avortement. Parce que ces sites de désinformation peuvent donner l'impression de conseiller objectivement. Mais quand on creuse, on voit bien vite qu'ils cultivent la culture du traumatisme de l'avortement. Donc notre objectif, c'est que les personnes qui se posent des questions puissent avoir accès à une information la plus juste possible et qui ne va pas les influencer ou les traumatiser.
Véronique Séhier : Aujourd'hui il y a de nombreux médecins qui sont engagés sur la question de l'avortement et qui assurent un accueil de qualité aux femmes. Mais il y a aussi une telle stigmatisation de l'avortement qui fait qu'aujourd'hui encore, ce n'est pas considéré comme un acte médical noble. On a à la fois des médecins qui sont très investis, on a aussi des jeunes médecins qui s'intéressent à ces questions et qui ont envie d'être à l'écoute des femmes parce que dans leur formation initiale, l'avortement et la contraception occupent une toute petite place. Et du coup, le service d'avortement, c'est un service vers lequel on n'a pas envie d'aller. Toute femme a le droit d'être accueillie dans de très bonnes conditions, alors il faut vraiment favoriser les conditions d'accès égales sur l'ensemble du territoire à l'avortement. En France, il existe encore la clause de conscience et elle permet à des médecins de dire qu'ils ne pratiqueront pas d'avortement. Donc ce que nous exigeons aujourd'hui, c'est que partout en France, toute femme puisse avoir accès l'avortement dans de bonnes conditions, dans la proximité et dans des délais courts. Parce qu'il n'y a rien de plus insupportable quand on veut avorter de devoir attendre quinze jours ou trois semaines avant le premier rendez-vous.
Véronique Séhier : Je pense que ça commence mais il y a encore du travail à faire sur ce sujet. On est dans des injonctions un peu contradictoires par rapport à la sexualité. On a fait des grands progrès et aujourd'hui la sexualité des femmes est mieux reconnue, mais en même temps, il y a encore ces rôles sociaux qui considèrent qu'une femme est plus douce, que ce n'est pas à elle de demander etc. Quand on travaille avec des adolescents, on voit bien la façon dont on peut stigmatiser une fille qui exprime ses désirs. On est toujours entre la mère et la putain. On a toujours ce travail à faire sur ses rôles sociaux pour faire comprendre qu'une femme peut vivre une sexualité libérée, pour casser le stéréotype de la fille facile. C'est pourquoi il est vraiment essentiel d'agir dès le plus jeune âge sur ces stéréotypes sexistes qui entravent la vie des femmes mais aussi des hommes.
Pour plus d'informations, rendez-vous sur le site officiel du Planning Familial.