C'est un cliché vieux comme le monde. Dès le plus jeune âge, les filles sont encouragées à être jolies et souriantes. Soumises à des pressions sociales schizophrènes, elles doivent être sexy mais pas trop, se languir des garçons mais ne pas passer à l'acte trop vite. Et si elles ont des rapports sexuels, c'est parce qu'elles sont amoureuses, pas parce qu'elles éprouvent du désir. Bref, nous sommes en 2015 et Emma Watson a beau se porter en étendard du féminisme, le syndrome de la maman et la putain a toujours la vie dure, spécialement chez les ados. Une étude sociologique menée par l'université de Pennsylvanie sur 921 jeunes âgés de 11 à 16 ans et sur une période de cinq ans (2003 à 2007) vient ainsi de démontrer que les relations entre les amis changeaient au fil des années en fonction de la vie sexuelle des uns et des autres.
Les chercheurs ont d'abord demandé aux adolescents de faire la liste de leurs amis les plus proches. En associant ces listes et les habitudes sexuelles de leurs sujets et leurs camarades, ils ont alors étudié comment le regard des uns sur les autres évoluait à chaque nouvelle année scolaire. Sans grande surprise, ce sont les jeunes filles qui doivent le plus souvent faire face au désamour des autres. Comme le révèle l'étude, les adolescentes voient leur popularité décroitre de 45% sitôt qu'elles deviennent sexuellement actives. A contrario, les garçons qui ont des relations sexuelles sont considérés comme des personnes cool puisque leur popularité fait un boom de 88%. En d'autres termes, le double standard règne toujours en maître chez les ados. Pendant que les garçons sont récompensés pour leur palmarès sexuel, les filles elles, sont encore et toujours victimes de slut-shaming.
Preuve qu'il y a un réel souci, les filles qui flirtent mais ne couchent pas gagnent en popularité (25%), tandis que les garçons qui sont dans le même cas voient leur réputation décroitre de 29%. Derek A. Kreager, le sociologue en charge de l'étude explique :
"Les résultats montrent que les scénarios types associés à chaque genre sont consistants. On attend des garçons qu'ils initient les choses. Ils doivent éprouver du désir dans un seul but : l'acte sexuel en lui-même et les multiples partenaires plutôt que la romance. En revanche, on attend des femmes et des jeunes filles qu'elles recherchent plutôt la romance que le sexe. Elles doivent attacher de la valeur à la monogamie et ne pas succomber aux avances des hommes sans un véritable engagement. Un double standard apparaît alors quand les femmes violent le scénario qui leur est attribué. Si elles multiplient les partenaires, elles sont stigmatisées socialement, pendant que les hommes qui agissent de la même façon sont récompensés parce qu'ils ont atteint un certain idéal de la masculinité".
On dit souvent que le lycée est un microcosme de notre société. Ce n'est donc malheureusement pas étonnant d'apprendre que les différences d'appréciation entre les filles et les garçons qui naissent à l'école subsistent une fois le Bac en poche. Derek A. Kreager confirme : "Très tôt dans l'adolescence, on est évalué par nos pairs sur notre comportement sexuel et la perte de notre virginité. Tout ça a un impact important et durable sur notre future adaptation sexuelle".
Menée entre 2003 et 2007, l'étude aurait-elle donné lieu à des résultats différents si elle avait été menée aujourd'hui ? On souhaite le croire. Car ces dernières années, les modèles des jeunes filles ont évolué. Si le féminisme de Beyoncé, Nicki Minaj et Miley Cyrus est parfois décrié, reste que ces femmes badass et indépendantes sont devenues les symboles d'une sexualité féminine forte et d'une réappropriation de son corps. Outre cette évolution positive dans la pop culture, on peut également observer divers changements dans notre société.
Le marketing genré est rejeté en masse par les enfants, les "métiers d'hommes" s'ouvrent aux femmes, tandis que côté sexualité, la frontière entre les genres se brouille allègrement. Les femmes sont de plus en plus nombreuses à refuser les étiquettes, à s'assumer. On aimerait maintenant que les lycées suivent la tendance. Alors que l'étude du sociologue Derek A. Kreager révèle bien que c'est à l'adolescence que notre jugement des autres et notre rapport à la sexualité prend forme, aux États-Unis, il est encore normal de renvoyer une jeune fille chez elle car cette dernière a eu l'audace de dévoiler ses clavicules ou ses mollets. Mettre K.O. les clichés sexistes une bonne fois pour toutes ne se fera pas en un jour, mais la bonne nouvelle, c'est que nous avons tout notre temps.