Aux États-Unis l'avortement est encore aujourd'hui un sujet très sensible. Alors que la loi autorisant les femmes à y avoir recours est en vigueur depuis 1973, de nombreuses voix influentes s'élèvent encore contre cette pratique médicale. Si les démocrates au pouvoir ont réussi à lutter contre la pression politique du clan républicain, un scandale récent impliquant le Planned Parenthood (planning familial) vient de relancer le débat aux États-Unis.
Alors que le pays a adopté en mai dernier une loi qui limite l'accès à l'avortement après 20 semaines de grossesse, le planning familial est aujourd'hui accusé de vendre illégalement des foetus avortés à des laboratoires scientifiques.
À l'origine de cette attaque : une vidéo tournée en caméra cachée par des militants pro-life de l'association Medical Progress. Après s'être fait passer pour les représentants d'une société bioéthique, ils ont réussi à obtenir un rendez-vous avec le Dr Deborah Nucatola, responsable du planning familial au niveau national.
La vidéo, qui date de juillet 2014, vient tout juste de surgir sur la Toile, soit un peu plus d'un an avant la prochaine élection américaine. De l'or en barre pour tous les candidats républicains anti-avortement, qui pourraient utiliser l'émotion suscitée par ces révélations sordides pour durcir encore un peu plus les conditions d'accès à l'IVG. Attaquée de toutes parts, Deborah Nucatola a fermé ses comptes sur les réseaux sociaux et se fait discrète. Mais ces quelques minutes d'enregistrement suffisent-elles à discréditer totalement les procédés utilisés par le planning familial ?
Contrairement au don volontaire de foetus qui est autorisé par la loi, son commerce, lui, est heureusement prohibé. Pour étayer leurs accusations, les militants pro-life se servent de l'une des déclarations du Dr Nucatola, qui affirme que chaque foetus coûterait entre 30 et 100 dollars. Mais ce n'est pas le seul point qui a fait tiquer les acteurs présents lors de ce déjeuner. Alors qu'elle est en train de se restaurer, Deborah évoque sans états d'âmes les pratiques qui permettent de conserver les organes du foetus le mieux possible : "Nous sommes devenus très bon pour attraper les coeurs, les poumons, les foies, parce que nous savons, et nous essayons de ne pas écraser ces parties du corps."
Non contents d'avoir sorti les propos du Dr Nucatola de leur contexte en coupant intempestivement la bande, ces militants ont oublié de préciser que la jeune femme fait allusion au prix de transport des foetus envoyés au laboratoire. La fourchette comprise entre 30 et 100 dollars ne sert donc qu'à rembourser les frais de livraison à la clinique. Dans la vidéo, Deborah précise aussi que les foetus proviennent uniquement de femmes qui ont donné leur accord au préalable.
Mais ce qui a véritablement fait réagir les américains (tous camps confondus), c'est surtout la manière très détachée dont fait preuve le Dr Nucatola pour aborder cette question délicate. Histoire de clarifier la situation, la présidente du planning familial américain Cecile Richards a réaffirmé les valeurs éthiques de l'association et s'est finalement excusée pour "le ton et les déclarations".
Il n'en fallait pas plus aux républicains pour remettre la question à l'ordre du jour à la Chambre des représentants. Encouragés par cet emballement médiatique, les responsables du Grand Old Party se sont donc saisis de l'affaire pour essayer de couper les subventions allouées par l'état au planning familial.
L'amendement proposé a finalement été rejeté à 53 voix contre 46. Un vote loin d'être rassurant, tant l'écart semble serré, mais qui reflète bien le malaise des citoyens américains, eux aussi très partagés sur la question.
Comme le montre ce sondage réalisé chaque année par Gallup , les Américains qui étaient majoritairement pro-choice il y a quelques années, sont aujourd'hui de plus en plus nombreux à remettre en doute ce droit pour les femmes. Avec l'avènement du très conservateur Tea Party, la force de la religion liée à l'État et les déclarations scandaleuses de certains politiques républicains comme Todd Atkin, l'accès à l'avortement risque encore d'être l'objet d'âpres débats.
Heureusement que certains, à l'image de la courageuse sénatrice démocrate Elisabeth Warren, montent encore au créneau : "C'est une énième attaque délibérée, orchestrée, et méthodique de la droite contre les droits des femmes. Je veux rappeler à mes collègues républicains que nous sommes en 2015, pas en 1955 ni en 1895".